L’accord de libre-échange transatlantique: les raisons de la colère (2/2)

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On l’appelle Accord de Libre-Echange Transatlantique (ALET) ou Partenariat Transatlantique pour le Commerce et l’Investissement (PTCI) et les anglophones TAFTA pour Transatlantic Free Trade Agreement ou encore TTIP pour Transatlantic Trade and Investment Partnership… une multitudes d’acronymes qui entretiennent le flou sur un projet qui a été pensé dans l’ombre. Seulement maintenant que la commission Juncker a été désignée, la vitesse supérieure va pouvoir être enclenchée pour les négociations avec les Américains. Des tractations au cœur desquelles nous trouverons Pierre Moscovici, nouveau commissaire aux affaires économiques et droits de douanes, et grand défenseur du projet TAFTA. Est-ce que ce sera l’occasion d’un peu plus de transparence envers les citoyens Européens, comme l’ancien ministre de l’économie en faisait le vœux (pieux ?) lundi sur France Inter ? Rien n’est moins sûr tant ce projet cache – depuis le départ – ses véritables objectifs.

La première partie de ce dossier sur le TAFTA a été publiée la semaine dernière, analysant notamment le contenu du mandat de négociation donné à la Commission Européenne

4/ Les bénéfices économiques attendus du TAFTA

Les défenseurs du TAFTA prétendent qu’un tel accord générerait des réductions de frais à l’exportation, un coup de fouet pour la production européenne, et des dizaines de milliers d’emplois de part et d’autre de l’Atlantique. D’après le mandat de négociation donné à la Commission Européenne il pourrait « accroître le PIB de l’UE entre 0,27% et 0,48%, et le revenu national par l’UE jusqu’à 86 milliards d’euros. » Des effets d’annonce qui ne reposent malheureusement sur aucune étude sérieuse et qui sont impossible à infirmer ou à confirmer.

Logo du collectif « Stop TAFTA » (www.collectifstoptafta.org)

Qui peut deviner les retombées économiques pour l’Europe que générera le TAFTA ? Ces arguments économiques ressemblent surtout à un miroir aux alouettes dans cette période de crise ou chaque pays cherche dramatiquement chaque pourcentage de croissance et chaque milliard d’euros pour réduire sa dette.

On rappellera seulement que les droits de douanes entre l’Europe et les États-Unis sont déjà très bas (de l’ordre de 2 à 3%, hors agriculture), il n’y a donc pas de gisement d’économies fabuleux à réaliser en réduction de frais d’exportation. Benjamin Coriat, des Économistes Atterrés, résume ainsi « Les échanges marchent déjà très bien entre l’Europe et les États-Unis, du coup cette accord relève exclusivement de la question des normes. Qui s’aligneront forcément par le bas.« 

5/ Un marché de dupe des Américains ?

Une autre question clé à poser sur le TAFTA est celle de l’intérêt des Américains. A écouter la Commission Européenne ce traité serait surtout au bénéfice de l’Europe (entre les lignes on nous suggérerait même que si les USA sont prêts à signer ça, on devrait se dépêcher avant qu’ils ne changent d’avis). Qu’en est-il vraiment ?

Les USA cherchent surtout à ré-équilibrer leur balance commerciale catastrophique

Pour commencer on rappellera qu’au départ ce traité est une initiative Américaine. Elle s’inscrit dans la démarche étasunienne de signer des accords de libre échange avec leurs voisins et partenaires commerciaux: cela a commencé en 1994 avec l’ALENA signé avec le Mexique et le Canada, porté déjà à l’époque par une administration démocrate (NDLR: l’administration Clinton), et cela se poursuit en parallèle sur l’axe asiatique avec la négociation du TPP (Trans-Pacific Partnership) qui est l’exact « cousin » du TTIP proposé à l’Europe. Au delà du fait qu’il serait très surprenant que les États-Unis proposent tout azimut des traités dans lesquels ils seraient perdants, on peut s’interroger sur leurs intérêts pour le libre-échange.

Primo, il est certains que les USA cherchent a ré-équilibrer leur balance commerciale catastrophique avec les autres pays du monde. Ce problème majeur de l’économie américaine qui vit à crédit depuis des années (ce que les économistes n’hésitent pas à qualifier de « bombe à retardement ») commencent à inquiéter sérieusement outre-Atlantique. Si les grosses entreprises peinent à conquérir les marchés à l’étranger, il faut chercher à corriger cela à travers ces propositions de traités.

Quid du « buy american act » ?

Secondo, quand la main droite de l’Administration Obama propose du libre échange aux pays de la zone Europe et de la zone Asie, la main gauche renforce le « buy american act » mesure protectionniste par excellence sensée protéger le marché américain des produits et services étrangers… Doit-on s’attendre à ce que les USA reviennent sur cette loi ? Est-ce que cet abandon ne devrait pas être un pré-requis à tout début de négociation ?

Tertio, les Américains, négocient en tant qu’état souverain alors que l’union européenne est divisée avec chacun ses intérêts. Une situation de négociation terriblement déséquilibrée (au désavantage de l’Europe) que Gérard Filoche résume ainsi sur son site:

« En apparence, il s’agit de deux blocs économiques d’importance équivalente. La réalité est cependant bien différente, la confrontation opposerait un porte-avion et un chalutier. Les États-Unis sont un géant économique, politique et diplomatique, l’Union européenne est un géant économique mais un nain politique…

Les États-Unis n’hésitent pas à verser toutes les aides publiques nécessaires au soutien de leurs « champions industriels ». Les articles 107 à 109 du traité de Lisbonne interdisent aux États membres de l’UE de verser des aides publiques aux entreprises… Les marchés publics des États-Unis sont réservés à 25 % à leurs PME…

Un accord de « libre-échange » avec l’UE n’engagerait que l’État fédéral, pas les marchés publics des 50 États américains. La Commission européenne, de son côté, supprime à marche forcée toute restriction d’accès aux marchés publics des États-membres de l’Union européenne… »

Des négociations menées avec une Europe en position de faiblesse

Pour terminer sur le déséquilibre des négociations, on rappellera que grâce à Edward Snowden nous savons maintenant que les USA écoutent l’Europe via le programme de surveillance Prism de la NSA. Ils sont donc en mesure de connaître la marge de négociation maximale de chaque pays et d’exploiter autant que faire se peut nos divisions internes… L’Europe n’est donc pas du tout en position d’imposer une version du traité optimale pour elle dans ces négociations.

6/ Sept raisons pour refuser de négocier l’accord de libre échange UE-USA

Pour conclure ce dossier sur le TAFTA, intéressons-nous au texte de Susan George et Cécile Monnier (toutes deux membres de Nouvelle Donne) qui expose sur Mediapart 7 raisons qui devraient nous conduire à « l’abandon pur et simple des négociations autour du Tafta » : un traité « façonné par des multinationales », et qui entend « privatiser » non seulement la justice mais une part du travail législatif. 

« Parce que son nom, Tafta ou TTIP, ne dit pas la vérité sur son contenu. Ce traité concerne peu le commerce, mais davantage l’investissement, et s’intéresse surtout aux règlements et normes qui gouvernent toute mise sur le marché d’un produit ou d’un processus.

Parce que les tarifs douaniers que vise à faire tomber le Tafta sont déjà très bas – de l’ordre de 2% à 3%, sauf pour l’agriculture. Si on devait diminuer les barrières douanières en Europe, ce serait la mort programmée d’une grande partie des agriculteurs européens.

Parce que ce traité a été conçu et façonné depuis de longues années par des multinationales des deux côtés de l’Atlantique, dont le souci majeur est de réduire et « d’harmoniser » vers le bas les deux systèmes. Ces entreprises pensent ainsi économiser des milliards d’euros, mais cette économie se fera au prix d’une baisse de la protection du consommateur, de sa santé, de sa protection sociale et de l’environnement. Les États-Unis ne voient aucun inconvénient aux OGM, gaz de schiste, bœuf nourri aux hormones, poulets rincés au chlore, médicaments hors de prix. En revanche, ils voient d’un très mauvais œil – tout comme les grands groupes européens – les produits pharmaceutiques génériques, l’amélioration de la protection sociale, des salaires ou encore des retraites, les services publics qui « devraient » être privatisés, ainsi que toute restriction de la liberté du marché ou de la sacro-sainte « concurrence libre et non faussée ».

Parce que si un État mettait en place une loi ou toute autre mesure risquant d’entamer les profits actuels ou même futurs d’un investisseur étranger, celui-ci pourrait traduire cet État devant un tribunal d’arbitrage privé. Ce tribunal pourrait alors décider d’une compensation en faveur de l’investisseur (sous d’autres traités bilatéraux similaires, la plus importante compensation imposée a été de 1,1 milliard de dollars).  Ce sont bien sûr les contribuables qui paieraient ces amendes, ainsi que les coûts élevés de justice (avocats et arbitres spécialisés, pour le moment surtout américains et britanniques).

Parce que ce traité entend privatiser non seulement la justice par le système de l’arbitrage privé, injustifié dans des pays où les cours de justice sont fiables et non corrompues, mais aussi une partie des fonctions législatives qui concernent la régulation des marchés et les lois qui protègent les citoyens. Les États seront amenés à bien réfléchir avant d’adopter de nouvelles lois protectrices, de crainte d’être assaillis de procès longs et coûteux.

Parce que ce traité est rétroactif et couvrira les investissements déjà effectués, soit environ 3 000 milliards de part et d’autre de l’Atlantique.

Parce qu’il est secret et négocié dans un déni de démocratie total: même les parlementaires européens n’ont pas le droit de le lire ou de consulter les compte-rendus des cycles de négociation.

Comment peut-on accepter qu’un traité qui mettrait à mal toutes nos normes et réglementations et qui soumettrait nos États et nos collectivités à la volonté des multinationales soit négocié dans le dos des citoyens ? Encore une fois, Nouvelle Donne demande l’abandon pur et simple des négociations autour du TAFTA : sans dramatisation, mais avec conviction, refusons de nous asseoir à cette table-là !  « 

Susan George, membre du comité de soutien de Nouvelle Donne et présidente d’honneur d’Attac
Cécile Monnier, candidate dans le sud-ouest aux élections européennes pour Nouvelle Donne
La première partie de ce dossier sur le TAFTA a été publiée la semaine dernière, analysant notamment le contenu du mandat de négociation donné à la Commission Européenne

Sources et compléments :

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