Sortir du nucléaire: le véritable enjeu c’est le démantèlement des centrales

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Dans la foulée de l’accident de la centrale japonaise de Fukushima, le débat sur le fait de sortir du nucléaire fait rage un peu partout dans le monde, entre les pro et les anti-atome. Mais on oublie souvent qu’arrêter le nucléaire ne se fera pas en un tour de main. Quand bien même on trouverait une alternative énergétique, se posera toujours la question de ce qu’il faut faire des centrales existantes. Leur démantèlement n’a pas été envisagé lors de leur construction et aucune centrale n’a jamais été démantelée en France, à l’exception de Superphénix dont l’arrêt avait été proclamé par le gouvernement Jospin en 1997. État des lieux 15 ans après.

Superphénix : « Un volcan aux portes de Lyon »

Superphénix centrale nucléaire de Creys-Malville

Superphénix, la centrale nucléaire de Creys-Malville (photo Wikipedia)

La centrale de Creys-Malville – nom de code « Superphénix » – était le fleuron de l’industrie nucléaire Française des années 70/80. L’un des unique représentant mondial de la filière des réacteurs à neutrons rapides (RNR). D’une puissance sans égal de 1200 Mégawatts, la machine était sensée régénérer une partie de son combustible. Des propriétés qui ont longtemps justifié le prolongement le l’expérience, en dépit de résultats peu tangibles et de coûts pharaoniques.

La construction du plus grand surgénérateur du monde a démarrée en 1976, pour être mise en service en 1984. Une sorte de « volcan aux portes de Lyon » comme l’appelait le philosophe Lanza del Vasto (cité par Christine Bergé du Monde Diplomatique dans son article sur le démantèlement de Superphénix).

Mais après seulement une décennie de fonctionnement, le gouvernement Jospin décidait le 19 Juin 1997 d’arrêter les frais et de stopper la centrale. Une centrale toute jeune dont seulement la moitié du combustible avait été consommée…

Un démantèlement sur 30 ans et pour plus d’un milliard d’euros

La déconstruction de la centrale et son démantèlement sont prévus pour durer au moins 30 ans et coûter un milliard d’euros environ (source la Gazette du Nucléaire). Le coût est aussi important parce que comme les techniques de déconstruction des centrales n’ont pas été définies lors de leur construction, les opérations de démantèlement comportent des risques, qui doivent être identifiés en continu. Pour l’heure, le démantèlement de Superphénix se déroule en 3 étapes :

  1. le traitement du sodium
  2. la déconstruction du bloc réacteur
  3. la démolition des bâtiments

Aujourd’hui, 15 ans près le début des travaux,  le traitement du sodium est en cours (et il prendra au total plusieurs décennies, voir ci-après). En parallèle la déconstruction du réacteur a déjà bien commencé. On a enlevé le cœur, et formé quelques centaines d’assemblages combustibles coulés par 19 mètres de fond, dans la « piscine » de l’atelier pour l’entreposage du combustible. Seulement comme l’explique Christine Bergé dans le Diplo, personne ne sait ce qu’il adviendra de l’uranium et du plutonium. Et il y a tout de même 14 tonnes de ces « braises » dans la piscine de Creys-Malville…

Centrales nucléaires en France

Centrales nucléaires en France (Reuters) : On veut bien les arrêter mais on en fait quoi ?

L’étape deux se poursuivra entre 2013 et 2020 avec le démantèlement de la cuve du réacteur – fortement radioactive. Ensuite, la démolition du bâtiment réacteur en elle même devrait durer 5 ans (source Lemoniteur.fr).

Enfin, comme le mentionne la Gazette, il ne faut pas oublier que ce chantier de déconstruction induit un nombre conséquent d’emplois. 350 postes au total, avec 150 agents EDF et 200 agents d’entreprises prestataires. A relativiser cependant si l’on compare aux 1200 personnes qui travaillaient sur le site du temps de l’exploitation du réacteur.

70 000 tonnes de béton radioactif

Revenons plus en détail à l’étape du retraitement du sodium. Il y a au total 5.500 tonnes de ce produit à neutraliser: les 4.000 tonnes (radioactifs) du circuit primaire (cuve) et les 1.500 tonnes du circuit secondaire des échangeurs de chaleur.

Homer Simpson, centrale nucléaire

Homer Simpson dans sa centrale nucléaire

Le sodium est d’abord traité en vue de sa transformation en soude (grâce à un procédé développé par le CEA sur le site de Cadarache et aussi utilisé à la centrale surgénératrice de Dounreay en Écosse). Grâce à deux lignes de traitement, le site de Superphénix  permet de traiter 5 tonnes de sodium par jour, soit 1825 tonnes par an. La soude radioactive est ensuite incorporée à du béton comme eau de gâchage,  se retrouvant ainsi fixée et confinée sous la forme de blocs de béton. Les 5.500 tonnes de sodium à traiter engendreront 24.000 m3 de soude et au final 36.700 m3 de béton soit 70.000 tonnes…

La question est maintenant : que faire de ces blocs de béton radioactifs ?

« Afin de laisser s’apaiser la radioactivité de ces blocs et pour permettre également un étalement dans le temps des navettes des nombreux camions chargés  de l’évacuation sur un autre site  des autres déchets (radioactifs: 25.000T. et autres: 423.000 T.) issus de la déconstruction, il est prévus dans un premier stade l’entreposage sur place et sur, environ, 5.000 m2, de ces blocs. Mais on ne sait rien, pour l’instant, du lieu de stockage définitif de ces différents déchets à risques générés par cette déconstruction. » (la Gazette Nucléaire)

Jean-Pierre Thomas, le directeur de la centrale, imagine lui utiliser à terme ce béton pour la construction:

« Au bout de 30 ans, ce béton aura la même radioactivité que celle du granit et pourra être utilisé comme matériau de construction » (Lemoniteur.fr)

A voir les difficultés et le coût engendrés par le démantèlement de Superphénix, on comprend mieux maintenant pourquoi personnes n’est trop pressé de « sortir du nucléaire » en France, même progressivement. (On prolonge par exemple soigneusement régulièrement la durée de vie de Fessenheim la doyenne des centrales hexagonales). Car non seulement il faudra trouver une alternative énergétique à un système qui fournit 76% de l’énergie électrique à la France, mais en plus il faudra aborder la chaude problématique du démantèlement.

Avec cette technique du « reculer pour mieux sauter » l’industrie nucléaire  s’imagine peut être échapper aux questions dérangeantes: que va-t-on faire des déchets issus du démantèlement ? Que deviendront les réacteurs ? Et leur combustible ? Et surtout, pourquoi la déconstruction n’a pas été  pensé au moment de la construction ? Aujourd’hui on peut se demander quel est son objectif: repousser l’échéance avant de mettre la population devant le fait accompli lorsqu’on aura plus le choix ? En attendant, tant que les centrales tournent on ne se pose pas trop la question de ce qu’il en adviendra lorsqu’on les arrêtera, et c’est bien pratique…

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