Le 6 Février 1637 a eu lieu la première crise financière de l’histoire. Au Pays-Bas le marché venait sanctionner brutalement les spéculateurs sur les bulbes de tulipe qui avaient pris en quelques années des valeurs hallucinantes. Cette « tulipomanie » – comme l’appelle le journaliste britannique Charles Mackay qui étudia le phénomène au XIXième siècle – revêt avant l’heure tous les ingrédients de nos bulles spéculatives modernes. Il est peut être temps de réviser la « parabole des tulipes »…
Arrivée de la tulipe aux Pays-Bas
Le début de XVIième siècle constitue l’age d’or des Provinces Unis (l’ancien nom des Pays-Bas.) A cette époque la guerre avec les Habsbourg d’Espagne (NDLR: la « guerre de quatre-vingts ans ») fait rage en Wallonie et en Flandre. Par effet domino ce conflit permet aux commerçants Hollandais de s’enrichir en pratiquant de lucratifs commerces. En effet les armées Espagnoles occupant l’actuel Belgique, les Provinces Unis réagissent en bloquant le port d’Anvers, ce qui en ruine le commerce et déporte l’activité vers les ports Hollandais alors en plein essor (Amsterdam, Rotterdam…) A cette époque les commerçants Hollandais sont partout, Baltique, Méditerranée, Antilles et aussi Indes avec la Compagnie des Indes Orientales créée en 1602.
C’est à cette époque que Ogier Ghislain de Busbecq, ambassadeur des Province Unis à la cour du sultan Ottoman Soliman le Magnifique rapporte des bulbes de tulipe aux Pays-Bas qui sont plantés dans les jardins botaniques. Rapidement les horticulteurs rivalisent d’ingéniosité dans la sélection des meilleurs plans. S’en suit une véritable « tulipmania » ou cours de laquelle les bourgeois fortunés – qui plantent des jardins privés à l’arrière de leur maison – s’arrachent les tulipes.
De plus en plus, les tulipes « cassées », c’est-à-dire infectées par le phytovirus, dominent le bouquet et triomphent progressivement des roses, des lys et des ancolies. Ces tubercules rares font l’objet de toutes les convoitises.
Bulle spéculative et krach
On rapporte que la valeurs des bulbes les plus recherchés peut atteindre à cette époque plusieurs milliers de florins, alors qu’un ouvrier spécialisé gagne environ 150 florins par an.
Le système encourage aussi la spéculation car les achats de tulipes ne se règlent pas comptant mais à terme : on s’engage dès l’hiver à acheter en été – au moment où il pourra être transplanté – tel ou tel bulbe, avec l’espoir de le revendre soi-même avec profit. Ce qui fait que la tulipomanie s’étend au delà des seuls horticulteurs et bourgeois amateurs de tulipes. Quiconque a de l’argent à investir se met à espérer réaliser une plu valu.
La tulipe est alors considérée un peu comme une œuvre d’art, et en 3 ans (de 1634 à 1637) la valeur des bulbes atteint des sommets absurdes. Tel bulbe aurait été échangé contre 12 ares de terrain constructible, tel autre contre le prix d’un carrosse et de son équipage. En février 1637, une variété atteint le prix record de 6 700 florins. « Le prix d’un seul oignon peut atteindre en 1637 la valeur de deux maisons, huit fois celui d’un veau gras et quinze fois le salaire annuel d’un artisan. » (Wikipedia) Les producteurs ont alors soudainement plus de mal à trouver des acquéreurs pour les oignons de tulipes devenus totalement hors de prix. C’est le krach. Le cours des bulbes chute vertigineusement et la bulle spéculative éclate.
Les ingrédients de la crise
Depuis l’analyse de Mackay, l’histoire de tulipes hollandaises a fait le tour du monde et est désormais bien connue. Ce qu’il est important de noter, c’est que l’on retrouve dans la crise de l’époque les principaux ingrédients de nos bulles spéculatives d’aujourd’hui:
- L’achat à terme: en achetant en hiver ce que l’on aura et que l’on payera au printemps on a au XVIième siècle la notion de paiement à terme qui est considérée aujourd’hui comme un facteur aggravant des crises spéculatives
- Absence de garantie: Comme cela est expliqué dans l’article sur le sujet de la Wikipédia ni l’acheteur ni le vendeurs ne fournissent de dépôt de garantie. Couplé au paiement à terme, ce fonctionnement permet à l’acheteur d’espérer se financer sur la futur revente et incite à la fuite en avant.
- Nouveaux marchés: à partir de 1634 la demande française et du reste de l’Europe sur les tulipes stimulent les ventes et encouragent l’arrivée des spéculateurs sur le marché. Cet élargissement du marché n’est pas sans rappeler le contexte de mondialisation qui prend largement part à nos bulles spéculatives modernes.
- Création de bourses: En 1636, un système analogue à une bourse de commerce où se négocient les contrats à terme de tulipes s’est mis en place au Pays-Bas. Les négociants se réunissent en « collèges » dans des auberges des grandes villes. Ils sont alors tous réunis dans les mêmes pièces suivants « en direct » les « cotations ».
- Implication de non initiés: En 1636, Mackay observe que les tulipes se négocient sur le marché du change dans de nombreuses villes et bourgades néerlandaises. Cela encourage alors tous les membres de la société à se lancer dans le commerce de la tulipe. Certains allant même jusqu’à vendre ou échanger tous leurs biens pour jouer sur les cours de la tulipe. Cet élargissement du jeu boursier au non-initiés est souvent considéré comme un facteur aggravant de la frénésie spéculative.
Depuis le début des années 80 (et le retour en force de la théorie libérale sur le terrain de l’idéologie économique) des études relativisent l’analyse de Mackay. Elles soutiennent notamment que la spéculation sur la tulipe n’a touché qu’un cercle restreint de commerçants et d’artisans et qu’aucun de ceux-là n’a été ruiné par l’effondrement des cours. Les contrats à terme s’effectuant sans échange monétaire, leur résiliation au moment du krach a entrainé un manque à gagner pour le vendeur mais pas de perte. Mais même si la tulipomanie a été un peu fantasmée par Mackay il serait tout de même temps de tirer les leçons de l’Histoire, car en se replongeant dans la mésaventure hollandaise on a une amère impression d’éternel recommencement.
Sources :
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