Marine Le Pen en tête du premier tour: la dictature du sondage poubelle

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Vous ne connaissez pas la dernière ? Selon le dernier sondage Harris Interactive pour Le Parisien, Marine Le Pen arriverait en tête du premier tour de la présidentielle ! Les médias tournent en boucle là dessus depuis hier soir… Combien de temps va-t-on encore supporter ces sondages biaisés et malsains qui pourrissent continuellement la vie publique française ? Cela ressemble de la plus en plus à de la manipulation pure et simple. Et malheureusement les députés ont rejeté le projet de loi du Sénat qui voulait obliger les instituts et les médias à un peu plus de transparence… Bravo !

Un sondage tordu et scientifiquement bancal

Voici l’information brute que les médias nationaux se relayent :

« Selon un sondage réalisé par l’institut Harris Interactive pour «le Parisien» -«Aujourd’hui en France» [parut] ce dimanche, Marine Le Pen arrive en tête des intentions de vote au premier tour de la présidentielle avec 23%. Elle devance Nicolas Sarkozy et Martine Aubry, crédités tous deux de 21%. » (Source Le Parisien)

Ce que l’on nous dit déjà moins (ou écrit en tout petit), ce sont les précisions suivantes :

« Enquête réalisée en ligne par l’institut Harris Interactive du 28 février au 3 mars 2011. Echantillon de 1618 individus issus de l’access panel Harris Interactive, représentatifs de la population française âgée de 18 ans et plus. Méthode des quotas et redressement appliquée aux variables suivantes : sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle de l’interviewé et taille d’agglomération et vote au premier tour de l’élection présidentielle de 2007. » (Source Le Parisien aussi)

Harris Interactive : le revers de la médaille

Le premier élément à remarquer, c’est qu’il s’agit d’un sondage « en ligne », donc effectué sur Internet. Or comme le rappelle Jacques Le Bohec sur Rue89 (ainsi que n’importe quel analyste un tant soit peu intéressé par le sujet) c’est le type de sondage le moins fiable. Entendons par là, ceux qui nécessitent le plus de « biais statistique » pour « corriger le tir ». En effet les gens mentent plus facilement en ligne qu’au téléphone, et encore plus que lors d’un sondage réalisé à domicile. La population répondant sur Internet est aussi moins représentative. Bref, pour toutes ces raisons un « biais correcteur » plus important est nécessaire et c’est d’autant plus de responsabilité laissé au sondeur qui peut accentuer la tendance du sondage comme il l’entend. Sous prétexte de faire des économies, Internet permet donc aussi de « faire » le sondage que l’on souhaite. Vous remarquerez que la plupart des médias (je pense aux radios notamment), ont bêtement oublié de mentionner qu’il s’agissait de résultats d’une enquête Web…

Politologues, sondeurs, journalistes et politiques sont tous d’accord pour dire qu’un sondage réalisé aussi longtemps à l’avance sur une présidentielle ne veut strictement rien dire. S(i vous en doutez, ressortez les sondages de 2001…) Pourtant cela ne les a pas empêché de passer cette « info » en boucle en la commentant allègrement ; la plupart des lecteurs et auditeurs ne retenant que l’info « Marine Le Pen en tête du premier tour ». Cela ressemble fort à une tentative de manipulation.

Le summum étant atteint sur la question en elle même. Pourquoi avoir écarté les autres candidats possibles à gauche ? Martine Aubry est loin d’être assurée d’être candidate… Une hypothèse Dominique Strauss-Kahn donnerait à coup sûr un résultat différent. Seulement la recherche d’un résultat « scoop » a conduit l’institut à orienter sa façon de travailler. « Voilà la conclusion à laquelle je veux parvenir, je me donne les moyens d’y arriver en posant la bonne question… » Et ça se veut scientifique !

Les véritables responsables de la montée du Front National

A l'époque (en 2007), c'était Sarkozy qui prenait les voix de Le Pen... (dessin de Plantu)

Les réactions et interprétations de ce sondage vont toutes dans le même sens : ce serait le débat sur l’Islam provoqué par la Droite qui favoriserait le FN. Mais pourquoi donc ? La Droite ne devrait-elle pas au contraire « siphonner » les voix du FN en marchant sur son terrain ? Une stratégie qui fonctionnait plutôt bien ces dernières années d’ailleurs…

Non. La véritable raison de la montée du FN dans l’opinion il faut la dans les médias. C’est l’impressionnante campagne médiatique autour de la personnalité de Marine Le Pen de ces derniers mois qui s’est auto-réalisée. A force de présenter le « nouveau visage du FN », « plus modéré que père » avec un discours « qui parle au peuple », voici que l’extrême Droite a véritablement gagné en respectabilité. Et ce sondage n’est que la énième pierre de cet édifice. Prenez le sous-titre du Parisien : « Sur le terrain, le capital sympathie de l’héritière du FN progresse« . Voilà un parfait exemple de prophétie auto-réalisatrice ! Le coupable n’est-il pas à chercher du coté de la presse qui s’emballe sans fin sur ces résultats plutôt que chez les politiques ?

Une loi avortée qui manque cruellement

Le plus rageant dans cette histoire c’est qu’une loi devait enfin faire le ménage parmi tout ces sondages biaisés et nauséabonds. Avant la présidentielle, on s’apprêtait donc à faire un grand pas vers la démocratie. Sénateurs de Droite comme de Gauche étaient parvenus à se mettre d’accord sur un texte qui proposait entre autre d’obliger les médias publiant les sondages à :

  1. publier le nom de la personne qui a financé le sondage et son mode de réalisation
  2. publier les chiffres bruts (avant les « biais statistiques » utilisés par les sondeurs)
  3. publier l’intitulé exact de la question

Autant d’informations qui dans le cas du sondage d’aujourd’hui nous serait grandement utile. En disant que c’était un sondage en ligne, avec les chiffres bruts, les gens auraient sans doute un peu plus relativisé l’annonce du Parisien. L’intitulé exact de la question peut aussi tout changer (voir à ce sujet notre article décortiquant un sondage sur la fiscalité). Enfin celui qui paye est primordial ! Dans une manipulation de ce genre d’information est indispensable. Et si on apprenait que c’était des proches de Marine Le Pen ? Ou mieux de Dominique Strauss-Kahn, dans un coup « en deux bandes » pour se rendre indispensable et apparaître en sauveur ?

Malheureusement nos députés n’ont pas jugés que notre démocratie méritait cette nouvelle loi (méprisant par là même le travail des sénateurs). Alors que ce sondage sur la prochaine présidentielle est la preuve même qu’elle est nécessaire à une évolution démocratique du débat public.

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