Citation d’Antonio Gramsci

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Antonio Gramsci, membre fondateur du Parti communiste italien

« Il faut allier le pessimisme de la raison à l’optimisme de la volonté. »

Antonio Gramsci, écrivain et politique Italien, (1891-1937)

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Citation de Frédéric Lordon

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Frédéric Lordon économiste atterré

« Rien de plus idéologique que d’annoncer la fin des idéologies. »

Frédéric Lordon, économiste et chercheur en philosophie français (1962-)

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Idées fausses sur les médias: l’argumentaire percutant de Aude Lancelin

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Le texte est long, mais il en vaut la peine. Aude Lancelin, ex-directrice adjointe de L’Obs, nous livre sur son blog un puissant « kit » d’auto-défense intellectuelle pour contrer les arguments des défenseurs indéfectibles du système médiatique actuel. Manque d’indépendance, neutralité d’apparence influence des capitaux privés, diversité fictive… ce sont tous les maux de nos grandes rédactions qui sont passés au crible point par point, par la journaliste qui a annoncé dimanche qu’elle rejoignait la rédaction de la nouvelle chaine Le Média TV (NB: qui commencera à émettre en ligne à partir du 15 Janvier).

Aude Lancelin rejoint Le Média

Aude Lancelin rejoint Le Média (photo @Twitter)

Après un livre racontant ses quinze années passées au cœur des médias français et appelant à la libération des journalistes (Le Monde libre, Paris, Les liens qui libèrent, 2016), et maintenant que l’affaire de son licenciement de L’Obs est définitivement réglée – soldé le 8 décembre par la condamnation de son ancien employeur par le conseil des prud’hommes de Paris à lui verser 90.000 euros d’indemnités pour licenciement « sans cause réelle et sérieuse » – Aude Lancelin va pouvoir mettre en application ses idées dans sa nouvelle rédaction qui se revendique pluraliste, indépendante, collaborative, humaniste, écologiste et féministe. En somme tout ce que Aude Lancelin a toujours appelé de ses vœux.

Article dans sa publication originale sur le blog d’Aude Lancelin: Sept idées fausses sur les médias

Sept idées fausses sur les médias

Les gardiens de nos médias CAC 40 ont une rhétorique bien rodée pour se garder de toute critique, et continuer à passer pour des héros des libertés publiques tout en oeuvrant à verrouiller le système d’information français. Demi-vérités, mythes éculés ou mensonges éhontés, certains de leurs arguments s’avèrent hélas encore très efficaces auprès du public. Voici comment s’armer intellectuellement contre ces pseudo-évidences en sept leçons.

Les journalistes ont-ils trahi, au sens où Julien Benda pu parler en son temps d’une trahison des clercs ? On pourrait le penser, à voir avec quelle ardeur certains d’entre eux défendent les pouvoirs en place, mordent les mollets des quelques réfractaires, et se satisfont globalement d’un fonctionnement où leurs seuls interstices de liberté sont pourtant condamnés à demeurer sans vraie portée. L’idée de trahison est toutefois peu adaptée, la plupart des journalistes n’ayant pas une claire conscience de l’idéal professionnel qu’ils sacrifient en se faisant les défenseurs d’un système des médias devenu profondément vicieux dans son fonctionnement, et dangereux dans ses implications démocratiques. La plupart n’agissent pas avec l’intention de nuire. Eux-mêmes sont en effet devenus, via l’instruction reçue dans les écoles de journalisme, ou la formation sur le tas dans les open spaces des rédactions contemporaines, le produit d’une vision javélisée de ce métier qui ne leur permet plus d’accéder au sens que celui-ci pouvait avoir, lorsque la grande presse d’opinion existait encore. Accompagnateurs enthousiastes de la ruine de leur profession, beaucoup de journalistes ont l’impression sincère de défendre un système actionnarial certes pas parfait, mais suffisamment bon, au sens où la psychanalyste Mélanie Klein, parlait de soins maternels suffisamment bons pour ne pas trop amocher un psychisme. Lorsqu’ils interviennent dans l’espace public pour patrouiller en faveur de leurs actionnaires, qualifier de complotistes les détracteurs d’un système d’information gardienné dans sa quasi-totalité par les entreprises du CAC 40, et certifier la liberté d’expression dont ils jouissent, certains d’entre eux ont même réellement le sentiment de s’inscrire dans un glorieux combat historique en faveur de la vérité des faits. Si on les attaque, n’est-ce pas d’ailleurs le signe qu’ils gênent ? Si on les malmène dans les meetings, si on les insulte sur les réseaux, n’est-ce pas la preuve qu’ils ont mis leurs pas dans les traces des deux Albert, Londres et Camus ?

A cela, ajoutons que l’idée de traîtrise ne convient pas davantage à la sociologie nouvelle de ce métier, aux nouvelles lignes de front que celle-ci commence malgré tout à esquisser, et aux espoirs qui peuvent tout de même en naître. Plutôt que des Judas, beaucoup de journalistes sont en effet désormais des estropiés de ce système. Si on laisse de côté la fine pellicule des éditorialistes surpayés et fanatiquement dévoués à la perpétuation de ce dernier, la précarisation galopante de la profession est désormais une réalité. Il s’agit désormais d’un milieu où, pour parler crûment, on peut obtenir la sacro-sainte « carte de presse », et donc être déclaré journaliste professionnel, pour un revenu mensuel correspondant à la moitié d’un Smic. Lorsque l’on sait que, malgré cela, le nombre de cartes de presse a pour la première fois reculé en France depuis 2015, cela en dit long sur la réalité salariale d’un métier que la destruction en cours du code du travail va bien sûr encore considérablement contribuer à dégrader. Ainsi beaucoup de journalistes sont-ils en train de changer de classe, c’est un fait. Seulement voilà, même chez ces gens-là, et à cet égard la puissance de l’idéologie ne laisse pas d’impressionner, vous en trouverez encore très peu à cette heure pour remettre en question le système général de possession des médias pourtant en grande partie responsable de leur situation. Ou pour quitter le domaine de la plainte purement locale, et réclamer autre chose que des « chartes éthiques », c’est-à-dire de bonnes paroles de leurs actionnaires, des promesses vertueuses de non-intervention, et autres airs de flûte grandioses qui n’engagent que ceux qui les écoutent.

Autant de raisons pour lesquelles, aujourd’hui, il est plus que jamais important d’identifier les différentes idées fausses qui empêchent le public de prendre conscience de la nécessité de s’emparer de la question des médias, et d’en faire une question politique prioritaire. Ces verrous-là, je viens de le dire, ils sont souvent entretenus par les journalistes eux-mêmes. Parfois ce sont de pseudo-évidences en réalité erronées, parfois des mensonges éhontés, parfois des mythes consolateurs pour la profession, mais tous ont en tout cas un très fort pouvoir de neutralisation, et entretiennent le public dans l’idée que finalement, il y a quelques brebis galeuses dans ce métier, mais que globalement tout ne va pas si mal, que tout pourrait même être pire, et surtout que l’on ne voit pas comment cela pourrait aller beaucoup mieux. J’en ai listé sept au total. Il est absolument indispensable d’avoir ces sept idées trompeuses en tête, et de s’armer intellectuellement face à elles. Car désormais, c’est bien le drame, nous ne retrouverons pas une véritable vie démocratique tant que, d’une façon ou d’une autre, la situation dans les médias n’aura pas été déverrouillée.

1/ Première idée fausse : les actionnaires de médias « n’interviennent » pas

Ils n’exigent rien des directeurs de rédaction, qu’ils ont pourtant choisis pour la plupart, parmi les plus zélés du cheptel. Ils découvrent donc dans le journal, comme n’importe quel lecteur, le travail de leurs soutiers qui, par une espèce d’harmonie préétablie leibnizienne, se trouve être à l’unisson de leur vision du monde. Ainsi les actionnaires de médias, Bernard Arnault, Xavier Niel, Patrick Drahi et les autres, seraient donc les seuls actionnaires, tout secteur confondu, à n’attendre aucun retour sur investissement d’aucune nature, et ce en dépit d’injections substantielles de fonds dans une activité notoirement déficitaire.

Alors évidemment, c’est une insulte à l’intelligence des gens. Mais c’est pourtant un discours couramment tenu, et pas seulement par les managers de ces groupes, par les journalistes eux-mêmes, dont certains ferraillent dur sur les réseaux sociaux pour défendre l’incorruptibilité de leurs patrons. Ainsi, pour ne prendre que des exemples récents, on a pu entendre le directeur général de BFM TV expliquer dans une récente édition de « Complément d’enquête » sur France 2 qu’il avait rencontré une seule fois Patrick Drahi dans sa vie. Etait-ce vraiment la question ? Ou encore, on a pu voir le responsable du Decodex au journal « le Monde », sorte d’index Vatican mis au point par un organe de presse privé pour trier les sites fréquentables des poubelles de l’information, expliquer que les actionnaires ne les appelaient pas, je cite, avant la parution des papiers, affirmation à la fois peu contestable et puissamment comique. Mais l’on a pu aussi voir le même personnage batailler inlassablement sur les réseaux pour se porter garant du fait qu’aucun de ses patrons n’avaient jamais soutenu publiquement la candidature de Jupiter redux Macron (ce qui est factuellement faux), et que des chartes d’indépendance intraitables leur servaient en tout état de cause de ceinture de chasteté éditoriale (ce qui est simplement ridicule). Il semblerait en tout cas que cela suffise à rassurer pleinement ledit responsable du Décodex quant à la marche vertueuse du système, ce qui au minimum ne témoigne pas d’une grande curiosité de la part d’un « décodeur » professionnel.

L’actuel directeur de la rédaction de ce même quotidien, « Le Monde », a aussi pu, dans un éditorial publié à l’occasion de la mort d’un de ses actionnaires, Pierre Bergé, assimiler les gens qui prêtaient la moindre influence sur la ligne aux actionnaires à des « complotistes ». Face à ce verrou-là, les gardiens des médias ne prennent même pas la peine de répondre par des arguments. Ils se bornent à discréditer les personnes, voire à les psychiatriser. Car qu’est-ce qu’un complotiste sinon un paranoïaque et un malade mental à la fin des fins ? On voit en tout cas à quel point il est important pour le système de neutraliser tout individu cherchant à révéler au public le poids que pèsent les actionnaires de médias sur la vie d’un journal, et le genre de catastrophe démocratique qu’ils peuvent organiser à l’échelle d’un pays quand leurs vues convergent, c’est-à-dire très souvent, notamment quand le coût du travail est en jeu. Il est pourtant assez évident que dans une société démocratique, où le suffrage universel existe encore, et cela même s’il est en passe de devenir une farce organisant l’impuissance collective, le contrôle capitalistique des médias est une question politique cruciale. Il est évident que ce constat-là n’a rien à voir avec un propos conspirationniste, et que prêter des arrière-pensées aux géants des télécoms quand ils investissent dans les médias n’a rien à avoir avec le fait d’être agité par les Illuminati ou une quelconque autre société secrète horrifique du type Skulls and Bones. Celui qui ne comprend pas cela, le responsable du Decodex par exemple, est-il équipé dans ces conditions pour décoder quoi que ce soit au champ de pouvoir capitalistique extraordinairement violent dans lequel il se meut semble-t-il en toute inconscience? On peut au moins se poser la question.

Tout cela est d’autant plus inquiétant à observer que ce qui se passe chez nous aujourd’hui s’est produit il y a exactement vingt ans aux Etats-Unis avec des conséquences dramatiques quant à l’indépendance de la presse et à la persistance même de l’existence d’un espace public. L’ex-rédacteur en chef du « Chicago Tribune », James Squires, un ancien Prix Pulitzer qui rompit avec le système et en fit un livre (1), soutenait ainsi en 1993, que la prise de contrôle intégrale des médias par les grandes compagnies états-uniennes avait entraîné la « mort du journalisme », je cite ses mots. En deux décennies, ainsi qu’il l’établissait, la mainmise de la « culture Wall Street » sur les médias, soit l’équivalent de notre presse CAC 40, avait réussi à détruire entièrement les pratiques et l’éthique de ce métier, réduisant les responsables de journaux à être des cost killers plutôt que des intellectuels, des managers plutôt que des artisans de l’intelligence collective. James Squires, un autre indécrottable paranoïaque sans doute.

Je citerai pour finir sur ce point Robert McChesney, autre spécialiste de ces questions aux Etats-Unis, notamment auteur d’un texte aussi alarmant qu’important paru en 1997, qui s’intitulait « Les géants des médias, une menace pour la démocratie ». McChesney y énonçait la chose suivante, dont on aimerait qu’elle devienne un jour une évidence, au moins pour les gens de bonne volonté: « L’idée que le journalisme puisse en toute impunité présenter régulièrement un produit contraire aux intérêts primordiaux des propriétaires des médias et des annonceurs est dénuée de tout fondement. Elle est absurde ».

2/ Deuxième idée fausse : on ne peut pas se passer de ces grands capitaux privés

Ils ont même sauvé la presse, entend-on ad nauseam, dans la bouche des factoctums qui sont leurs relais dans les médias. Seule l’injection massive de capitaux qu’ils ont pratiquée était en mesure de venir à bout des gouffres financiers créés par le journalisme, corporation inefficace et passéiste. Dans le même ordre d’idées, on vous dira que ça se passe pareil à l’étranger. Regardez les Etats-Unis, voyez Jeff Bezos qui a racheté le Washington Post, impossible de ne pas en passer par là, on vous le dit. Or tout cela est en réalité inexact. Et l’on oublie aussi soigneusement au passage de rappeler que ledit patron d’Amazon a commencé à s’intéresser au vénérable Post quand il s’est trouvé dans le viseur de l’administration fédérale, autant pour sa sale manie de contourner l’impôt, qu’en raison des pratiques monopolistiques de sa compagnie.

L’irruption d’Internet, de Google et autres Gafas, a bien sûr changé les équilibres financiers de la presse, c’est une évidence. Mais elle n’a pas créé les problèmes financiers de la presse. Il faut en avoir conscience, le financement a toujours été un problème pour cette dernière : le web n’a rien introduit de nouveau sur ce point, contrairement à ce qu’on tente de faire croire au public pour justifier l’injustifiable, à savoir le contrôle intégral de l’espace public par de grands conglomérats. Ainsi « l’Humanité » fondée en 1904 avait déjà des problèmes d’argent, et plus tard, aux lendemains de la guerre, « Le Monde » et « Combat » connurent eux aussi régulièrement de très mauvaises passes financières. Leurs fondateurs allèrent-ils pour autant se jeter aux pieds des grands industriels, tendirent-ils la sébile auprès de banquiers d’affaires déjà à l’affût de leur dépouille ? Evidemment non, je les citerai sur ce point. Jaurès au sujet de « l’Humanité » : « Toute notre tentative serait vaine si l’entière indépendance du journal n’était pas assurée et s’il pouvait être livré, par des difficultés financières à des influences occultes ». Notons au passage que celui-ci, pour qualifier les intérêts industriels pesant sur la presse parlait « d’influences occultes ». Sans doute Jaurès était-il la proie de tentations complotistes, écrirait aujourd’hui le directeur du Monde. Mais l’on pourrait aussi citer Hubert Beuve-Méry, exactement dans la même veine, cinquante ans plus tard: « Bien que les journaux ne soient pas toujours prospères, tant s’en faut, l’argent sous une forme ou sous une autre, ne cesse d’affluer. Comment expliquer que tant de gens aient tant d’argent à perdre, et d’où peut donc provenir cet argent ? ». On sent également derrière cette dernière formule interrogative une forte pente au complotisme le plus débridé, soupçonneraient aujourd’hui les nouveaux responsables de son propre journal.

Ainsi, si les géants des télécoms, Xavier Niel et Patrick Drahi, ont désormais élu pour terrain de jeu les médias depuis les années 2010, ce n’est pas parce qu’eux seuls étaient en état de supporter les coûts soi-disant astronomiques de la presse. C’est parce qu’ils y avaient un intérêt stratégique majeur, et que, avec la complicité du pouvoir politique, et à la faveur d’un affaiblissement de la culture démocratique chez les journalistes autant que chez les citoyens, ils ont commis un véritable raid sur la circulation des opinions dans notre pays. Là encore, tournons nos regards vers les Etats-Unis, où les géants des télécoms comptent également parmi les groupes de pression les plus redoutés et les plus influents de tous ceux qui cherchent à avoir les faveurs du Capitole. Une fois encore, je le répète, nous vivons avec vingt ans de retard le désastre du journalisme américain, et nous en franchissons patiemment toutes les étapes, commettant les mêmes erreurs.

Dernière remarque sur cette affaire de financement. Pour ce qui est de la faisabilité de lancer un titre sans ces magnats des télécoms, du béton ou de la banque d’affaires, nul besoin d’épiloguer davantage. Après tout, la création d’entreprises de presse en ligne comme Mediapart, devenu en moins de dix ans l’une des plus lucratives et actives rédactions du pays, est de facto une preuve que le désir des lecteurs peut suffire à faire vivre un titre, même si cela ne va pas sans épreuves. La liberté ne va jamais recréer sans ses propres servitudes.

3/ Troisième idée fausse : critiquer les médias c’est attaquer les personnes

On connaît cette forme de chantage grossier, hélas très commun, j’en rappellerai la teneur. Dès que les médias se voient mis en cause, ils brandissent le rayon paralysant: les journalistes font de leur mieux, certains travaillent très bien, avec les meilleures intentions du monde, si vous persistez à dénoncer agressivement le système de financement des médias, vous aurez des journalistes agressés sur la conscience demain. Variante de l’argument : critiquer les médias, c’est déjà avoir un pied dans le fascisme ou le bolivarisme – vice politique presque plus grave encore.

Ce chantage est inacceptable pour plusieurs raisons.

D’abord, il est pernicieux de faire reposer sur des individus, leur résistance et leur intégrité isolées, le devoir de contrebalancer la puissance de groupes entiers. Quand le CAC 40 a fait main basse sur les médias, quand toutes les chaînes d’informations en continu pesant de tout leur poids sur une présidentielle sont entre les mains d’un Drahi et d’un Bolloré, on ne peut pas se contenter de dire : il y a des petites mains qui travaillent très bien dans leur coin, certains journalistes ont une vraie éthique, il n’y a pas que des idiots utiles ou des vendus. Nul n’en doute à vrai dire, mais ce n’est pas la question. On ne peut pas tabler sur l’héroïsme ordinaire d’un salarié, si tant est qu’il soit praticable, pour aller à l’encontre de l’orientation politique générale de ses employeurs, supérieurs hiérarchiques et autres bailleurs de fond. D’autant moins que les réductions d’effectifs drastiques dans la presse, en dégradant le marché de l’emploi pour les journalistes, ont totalement déséquilibré le rapport de force avec les directions. Là encore, comme aux Etats-Unis dans les années 90, l’autonomie de la profession est en passe d’être détruite par le chantage à l’emploi.

C’est donc au niveau systémique qu’il faut agir, les individus ne peuvent rien seuls contre des forces aussi écrasantes. Une poignée de journalistes, même de valeur, est nécessairement impuissante face à la marée montante de leurs confrères qui, eux, acceptent les règles du jeu, et produisent un journalisme insipide défendant les intérêts de l’oligarchie. Tout au plus cette petite poignée de gens à la sensibilité politique différente peut-elle ponctuellement servir d’alibi, mais elle est en réalité toujours maintenue dans la position du minoritaire. Or, par définition, un alibi ne débloque jamais le système. Tout au contraire, il sert de force d’ajustement pour empêcher que le système ne soit un jour débloqué.

Ensuite, ce sont précisément dans les pays où l’on a laissé la culture démocratique se dégrader constamment, que les journalistes se voient aujourd’hui emprisonnés, comme en Turquie, victimes « d’agressions de rue », comme on dit pudiquement en Russie, voire d’assassinats. C’est justement dans les pays où le despotisme de l’argent et de l’Etat a à ce point gagné la bataille qu’il n’a plus rien à redouter de la justice, que ces choses-là arrivent. A l’inverse de ce qu’on nous raconte pour dissuader toute critique, c’est donc précisément afin de garantir à l’avenir la sécurité des personnes qu’il faut se battre aujourd’hui pour sauver l’indépendance des médias.

4/ Quatrième idée fausse : la diversité existe, « les médias » ça n’existe pas

Combien de personnes pour vous dire hardiment, et parfois même de bonne foi : on peut tout de même choisir entre « le Figaro », « les Echos » ou « Libération », et leurs lignes ne sont pas les mêmes, voyons ! Ou encore : « Moi je pioche ici et là, je fais mon marché à différentes sources, je suis informé de manière tout à fait pluraliste ». Les mêmes vous diront généralement qu’ils le sont au demeurant gratuitement. Et les journalistes d’abonder : « les médias » en soi ça n’existe pas, entre autres bla-blas. Evidemment c’est illusoire là encore. Il y a même ici plusieurs erreurs encastrées l’une dans l’autre à vrai dire.

Première remarque à ce sujet : si vous ne payez pas, c’est que quelqu’un d’autre, quelque part, paye à votre place pour que vous ayez ce que vous lisez sous le nez, et il s’agit généralement d’annonceurs. Or les annonceurs ont tendanciellement les mêmes intérêts politico-oligarchiques que les actionnaires des médias. Donc il se trouve qu’en vous informant uniquement à l’oeil, non seulement vous détruisez les chances de survie d’un journalisme de qualité, mais en plus vous contribuez à renforcer l’homogénéité idéologique de l’information produite.

Plus généralement, lorsque les médias appartiennent à des groupes d’affaires, il existe toutes sortes de sujets sur lesquels leur communauté de vue est totale. Sur la loi Travail XXL par exemple, vous n’aurez pas de vision différente si vous lisez les « Echos » de Bernard Arnault, ou « le Figaro » de Serge Dassault, ou « L’Obs » de Monsieur Niel, ou « le Point » de Monsieur Pinault, hebdomadaire de la droite libérale dont l’un des éditoriaux de rentrée commençait par la phrase suivante : « Emmanuel Macron est notre dernier espoir ». Tous propagent comme par enchantement les mêmes idées quand la restriction du droit des salariés et le montant des dividendes actionnarial est en jeu. L’existence même d’un phénomène politique comme Emmanuel Macron, véritable media darling de toute cette presse CAC 40 pendant la présidentielle, prouve que ce qu’on appelle la « diversité » idéologique de ces titres est bidon. La possibilité même de quelque chose comme le macronisme a révélé la vérité définitive sur cette affaire : la droite LR et la gauche PS étaient en réalité deux factions d’un même « parti des affaires » qui vient officiellement de se réunifier.

On pourrait bien sûr citer d’autres exemples que celui de la réforme du code du travail pour illustrer le fait que, via leurs médias, les milieux d’affaires réussissent à vitrifier l’opinion publique sur certains sujets cruciaux lorsqu’ils le veulent. Ainsi en France après 2005, on a assisté à une neutralisation complète de la question européenne après le référendum, où le peuple s’était pourtant prononcé clairement. L’euroscepticisme, invariablement criminalisé dans l’ensemble des médias, a rendu cette discussion entièrement « taboue » dans le débat public, au mépris de la démocratie la plus élémentaire. C’est la raison pour laquelle lorsque, participant à certains plateaux de télévision, vous entendez des journalistes entièrement ventriloqués par ces mêmes milieux CAC 40, aller jusqu’à remettre en question l’idée d’un « système » médiatique, et qualifier bien sûr au passage cette représentation de « complotiste », il y a là de quoi rire longtemps, et même très longtemps.

Autre argument fréquemment entendu pour ménager l’idée de pluralité et démentir le fait que les journalistes pencheraient systématiquement du côté de la ligne néolibérale de leurs actionnaires… L’idée selon laquelle les journalistes seraient plutôt spontanément rebelles à l’ordre établi. L’idée selon laquelle les journalistes auraient des affinités électives « de gauche », et seraient notoirement « liberals » comme on dit aux Etats-Unis. Ce point est important, car il constitue également un verrou très puissant du système. La perversité de la chose c’est bien sûr de faire mine de confondre les opinions sociétalement de gauche, mollement pro-migrants, favorables aux libertés publiques, ou encore gay friendly, et les opinions politiquement de gauche, anticapitalistes, « radicals » comme on dit aux Etats-Unis.

Les premières ne gênent en rien l’actionnariat, qui aura plutôt tendance à les encourager. Cette comédie du journalisme spontanément « de gauche » est même nécessaire à la bonne marche du système. Elle fournit en effet, je citerai une fois encore Robert McChesney sur ce point, l’apparente « preuve de l’existence d’une opposition loyale ». L’illusion qu’il existe encore un journalisme combatif, animé par de puissantes valeurs démocratiques. Ainsi a-t-on pu voir au cours de l’été 2017 pas moins de 20 sociétés des rédacteurs, parmi lesquelles les plus macroniennes d’entre toutes, s’assembler bruyamment pour se plaindre du fait que l’Elysée entendait désormais choisir les reporters embedded avec le Président Macron. Quels maquisards ! Quelle prise de risque ! Il fallait certes le faire, marquer le coup, mais typiquement c’est le genre de posture qui non seulement ne nuit en rien au système général, mais induit à tort l’idée que les journalistes restent des vigies de la démocratie. Je laisserai chacun juge de la réalité sur ce point.

Dans le même esprit qui prête aux journalistes des médias mainstream une vision culturellement « de gauche » sur le plan des libertés publiques, vous trouverez bien sûr aussi toute la droite dure, leurs trolls et leurs pantins médiatiques, qui voient derrière chaque journaliste, homme ou femme, une « gauchiasse » ou une « journalope », oeuvrant dans les « merdias » contre les intérêts supérieurs de la nation. Chacun a déjà croisé ce vocabulaire délicieux sur les réseaux sociaux. Evidemment, il s’agit là encore d’un leurre complet. Dans cette affaire, la droite extrême joue ni plus ni moins que le rôle « d’idiote utile » du milieu des affaires. Ainsi les Zemmour, Finkielkraut ou les Elisabeth Lévy vous expliqueront que tous les journalistes sont de gauche. Ce n’est même pas un mensonge dans leur bouche. C’est une croyance qu’ils ont. Une persistance rétinienne, résistant à toute expérience. Il est vrai que, vu du Sirius réactionnaire, toute personne qui ne milite pas pour jeter les Arabes à la mer est à mettre dans la catégorie « gauchiasse ». De Jean-Luc Mélenchon à Pierre Arditi en passant par Harlem Désir, le monde est ainsi peuplé de « gauchiasses ». Sauf qu’il est bien évidemment grotesque de soutenir en 2017 que la population journalistique penche massivement à gauche.

Bien au contraire, on ne compte quasiment plus aucun journaliste « radical » au sens américain dans ce pays. Ils ont tous été éliminés, placardisés, et l’on trouve même toutes sortes de tricoteuses sur les réseaux sociaux pour trouver ça parfaitement normal puisque ce sont, je cite, des « extrémistes ». Cette affaire de journalistes aux humeurs spontanément « de gauche » est donc une commode imposture, qui arrange en réalité beaucoup de monde. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si beaucoup de salariés de la presse la plus néolibérale exhibent fièrement ces insultes comme une légion d’honneur sur les réseaux sociaux – retweetant même frénétiquement la moindre injure à eux adressée par le plus insignifiant troll lepéniste. Cette comédie flatte leur amour-propre et, au passage, protège leurs actionnaires.

5/ Cinquième idée fausse : les journalistes doivent être neutres

C’est le premier commandement enseigné dans les écoles de journalisme. Au harem des idées, le journaliste est nécessairement cantonné dans le rôle de l’eunuque. Il doit rester neutre. Sinon c’est un militant, et ce n’est pas bon pour son avancement, pas du tout même. Militant, ça sent le couteau entre les dents, l’intransigeance, voire l’agenda secret. Si le journaliste a des combats, ça ne peut donc être soit que de grandes généralités concernant les libertés publiques, qui souvent hélas ne mangent pas de pain, soit le fact checking compulsif qui tient trop souvent lieu de seule colonne vertébrale aujourd’hui à la profession, de « Décodeurs » en « Désintox ». Entre les deux, on observe un véritable trou noir des combats admissibles. Alors ce point-là est évidemment très important. Et mon propos ne sera pas en la matière de renvoyer chacun à « sa » vérité, ou à sa commune absence d’objectivité. D’abord parce que la vérité est une, factuellement parlant, il faut tout de même partir de là. Ensuite parce que c’est un très mauvais angle d’attaque sur cette question. Ce dont il faut se convaincre, au contraire, c’est que l’on peut à la fois respecter scrupuleusement les faits et avoir des combats véritables. On met dans la tête du public et des journalistes en formation que c’est inconciliable, qu’engagement et scrupule factuel sont incompatibles. Mais ce puissant verrou mental-là, il faut le faire sauter d’urgence justement. Seule notre presse contemporaine, revenue peu à peu dans le poing du capital depuis la Libération, tend à rendre ces deux choses inconciliables.

J’en appellerai à nouveau sur ce point au Jaurès de « l’Humanité ». Ce qui frappe en relisant son premier éditorial, c’est de quelle façon sa très haute conception du journalisme nouait le souci de l’exactitude factuelle à la radicalité de l’engagement, sans que les deux choses apparaissent nullement comme contradictoires. Extrait : « La grande cause socialiste et prolétarienne n’a besoin ni du mensonge, ni du demi-mensonge, ni des informations tendancieuses, ni des nouvelles forcées ou tronquées, ni des procédés obliques ou calomnieux. Elle n’a besoin ni qu’on diminue et rabaisse injustement les adversaires, ni qu’on mutile les faits. Il n’y a que les classes en décadence qui ont peur de toute la vérité. » Il n’y a que les classes en décadence en effet qui diabolisent les adversaires, qui trafiquent la vérité continûment sous couvert de chasse aux fake news, qui parlent Venezuela quand on leur parle droit du travail. Ce texte d’il y a plus de cent ans devrait être une source d’inspiration constante, aux antipodes de l’idéologie journalistique contemporaine qui revendique à l’inverse une neutralité absolue, une absence totale d’engagement partisan. La chose dissimulant au demeurant le plus souvent la mise en place d’un contrôle politique violent.

Je terminerai sur ce point en rappelant que cette idéologie de la neutralité a une histoire qui est consubstantielle à celle de la presse sous perfusion capitalistique. Aux Etats-Unis, elle naît avec les écoles de journalisme, et cela dès les années 1920. Le journaliste professionnel diplômé est censé acquérir un système parfaitement « neutre » de valeurs – mais évidemment, la grande maestria de ces écoles, c’est d’arriver à faire passer les médias « capitalistes friendly » pour la seule source objective, et de leur fournir au passage les petits soldats adéquats à cette tâche. Il faut observer que ce journalisme-là a pleinement et activement contribué à la dépolitisation entière de la société américaine. Lorsque vous videz de tout contenu politique un journal télévisé, par exemple, vous le rendez ennuyeux et indéchiffrable, simple litanie d’anecdotes sans intérêt ni sens quelconque.

Notons aussi, pour finir, qu’en période de mobilisation guerrière aux Etats-Unis, prenons par exemple le cas de la première Guerre du Golfe ou celui de l’invasion de l’Irak en 2003, on a pu voir de quel genre de respect viscéral des faits le journalisme « neutre » et strictement « objectif » était en réalité animé.

6/ Sixième idée fausse : les journaux sont par définition des forces démocratiques, à défendre quoiqu’il arrive

Sinon c’est le Venezuela où l’on ferme des médias, sinon c’est le trumpisme où un Président injurie des éditorialistes, sinon c’est le poutinisme où l’on retrouve des journalistes morts dans leur cage d’escalier. Cette vision-là d’un journalisme « rempart de la démocratie » s’avère très utile pour couvrir toutes sortes de méfaits des médias dans des pays où les journalistes ne risquent nullement leur peau. Il s’agit vraiment d’un bouclier en carton, un peu obscène même car se cacher derrière des cadavres et des héros quand on ne risque rien est d’une obscénité avérée, mais redoutablement efficace. On l’utilise beaucoup contre la « France Insoumise » en ce moment, qui se serait rendue coupable d’attaques verbales innommables contre les lanceurs d’alerte nés que sont les journalistes français. L’un des rares programmes de la présidentielle à avoir proposé une refonte démocratique ambitieuse de tout le système des médias, plutôt que de se borner à réclamer le pansement des chartes éthiques sur la jambe de bois des médias corporate, eh bien c’est justement ce programme-là, celui de la « France Insoumise », que l’ensemble la presse perfusée au CAC 40 a présenté comme potentiellement liberticide et menaçant. Ce retournement-là, aussi stupéfiant qu’il soit, est très classique en fait, là encore l’exemple américain nous précède.

Ainsi les journaux, quoiqu’ils fassent ou disent, revendiquent le statut de remparts démocratiques. L’expérience montre pourtant, à l’inverse, qu’ils peuvent ponctuellement devenir exactement l’inverse. A savoir de véritables nuisances démocratiques. Mais là encore, le mythe perdure, le public ayant soigneusement été entretenu dans cette idée depuis de longues années. Ainsi la majorité de la population croit-elle encore en l’existence d’une « presse libre ». Elle n’est presque jamais exposée dans l’espace public à un discours qui, au-delà de quelques attaques ad hominem contre certains éditorialistes, lui montre que l’information est faussée à la source par sa mise sous tutelle financière. En contribuant à décomposer l’espace public, ces médias-là préparent pourtant le terrain à de futures violences politiques. J’achèverai ce sixième point par une remarque de Noam Chomsky qu’il ne faut jamais perdre de vue, quand on essaie de se rassurer à peu de frais sur l’innocuité de la presse : « La propagande est à la société démocratique ce que la matraque est à l’Etat totalitaire. » Lorsqu’une presse démocratique verse ouvertement dans la propagande, il n’y a donc aucune raison de ne pas en mener la critique impitoyable.

7/ Septième et dernière idée fausse : les médias ne peuvent pas grand-chose

orsqu’un éditocrate est totalement acculé, c’est généralement la dernière cartouche qu’il tire. Arrêtez avec « les médias » ! Les gens, on ne peut pas leur mettre n’importe quoi dans le crâne. Ils ont « leur libre arbitre » comme le disait un matin avec solennité la responsable de la revue de presse de France Inter, peu après l’élection de Macron. Là encore c’est du complotisme voyons, d’ailleurs « les médias » ça n’existe pas, et puis les médias vous le savez bien, ils sont très divers, et caetera, et caetera, et caetera. Evidemment, on reconnaîtra synthétisées ici, dans cette seule idée, toutes les idées fausses précédemment passées en revue.

Quel sens cela peut-il avoir pourtant de parler de « libre arbitre » pour des individus isolés qui subissent un tel tapis de bombes ? Où trouver les informations pour exercer son discernement quand de tels flux d’opinions vous sont infligés à de si hautes doses? Il existe certes une grande conscience chez toutes sortes de gens de la menace que fait peser sur leurs libertés un espace public dévitalisé, manœuvré en coulisses par toutes sortes de grandes fortunes du CAC 40 déguisées en philanthropes. Beaucoup plus que chez certains journalistes hélas. Mais au point où nous en sommes, cela ne suffit plus.

Abreuvés de rasades entières de mensonges, et de communication politique, les gens sont en proie à un sentiment d’immense découragement. Beaucoup retournent donc à leur « petite affaire » pour reprendre les mots de Gilles Deleuze (2), et tournent purement et simplement le dos à la politique. C’est ainsi que cinquante ans de luttes sociales peuvent se trouver arasées en un été, la machine médiatique étant là en appoint pour administrer une immense péridurale au pays, à base de boucles de langage vidées de sens, et autres héroïsation d’une fonction présidentielle en réalité dépassée. L’élection de Macron a donné le sentiment à beaucoup, en grandeur nature, de se trouver pris dans une gigantesque souricière. En amont les médias ont expliqué qu’il n’y avait d’autre choix possible que Macron, et qu’il serait antidémocratique de ne pas voter pour lui. En aval les médias ont expliqué qu’il n’y avait rien à faire contre les mesures de Macron, qu’il les avait au demeurant annoncées sans ambiguïté avant son élection, et qu’il serait donc antidémocratique de lutter contre elles. Donc oui les médias peuvent beaucoup, et même tout en réalité quand il s’agit de décourager les gens. Et oui, la presse indépendante peut un jour entièrement disparaître. Pas seulement parce qu’un Etat autoritaire fermerait les médias. Mais parce qu’une démocratie aurait laissé sa presse entièrement dévorée par les intérêts privés. Nous pouvons un jour tomber dans un coma semblable à celui des Etats-Unis. Être un journaliste ou un intellectuel de gauche là-bas ne relève même pas de l’héroïsme, plutôt de l’excentricité sans conséquence politique. Il est très difficile de ressusciter un espace intellectuel démocratique quand il a été entièrement dévasté, mieux vaut faire en sorte qu’il ne meure jamais. Il est grand temps.

Aude Lancelin

Ce texte est une version augmentée de l’intervention prononcée le 13 septembre 2017 au colloque « Penser l’émancipation », qui s’est tenu à l’université Paris VIII Saint-Denis, ex-Vincennes, sur le thème : « Médias, la nouvelle trahison des clercs ». Merci aux organisateurs de la revue Période.

Notes

(1) “Read all about it ! The corporate takeover of America’s newspapers”, par James D. Squires, Random House (non traduit en français).
(2) ”L’Abécédaire”, par Gilles Deleuze et Claire Parnet, téléfilm produit par Pierre-André Boutang.
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D’où parlent les éditorialistes ? La carte plutôt futée de Thomas Guénolé

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Les éditorialistes sont des journalistes bien à part. Contrairement aux autres, qui sont tenus à la neutralité du fait de la déontologie de la profession, on attend des éditorialistes qu’ils donnent leur point de vue sur l’actualité. Ils n’ont donc pas vocation à être neutres. Il ne serait donc pas incongru qu’ils révèlent leur opinion politique afin que les lecteurs et téléspectateurs connaissent leur angle de vue pour aborder les sujets. C’est l’objet des derniers éditos de Thomas Guénolé – éditorialiste insoumis officiant sur Europe 1 – qui s’est livré à une petite analyse.

Il a d’abord commencé par demander à ses collègues de faire leur « coming out » politique. Arguant que c’est chose courante dans le monde anglo-saxon et que l’honnêteté exigerait que le public connaisse d' »où parlent » les éditorialistes, il a lancé un appel sur Europe 1 le 25 Septembre.

Aux Etats-Unis il est banal qu’un éditorialiste s’assume républicain, démocrate, libertarien, liberal, ou autre. De fait, ne pas assumer d’où l’on parle est considéré outre-Atlantique comme un manque d’honnêteté envers le public.

En l’absence de réponse clair de ses confrères, le journaliste insoumis s’est livré à une petite analyse (publiée lundi dans Marianne, sous le titre « Les éditorialistes des grands médias sont-ils massivement pro-Macron ? »). Il est d’abord parti du constat que la dernière élection présidentielle a révélé une opinion française divisée en quatre blocs politiques au poids quasi égal (avec entre 20 et 25% de l’électorat). Il propose donc de représenter les opinions politiques autour de deux axes:

  • un axe horizontal sur les questions économiques, allant du protectionnisme au libre échange (qu’il appelle « mondialisation heureuse »)
  • un axe vertical sur la question de l’attitude à adopter envers les minorités, allant de l’ouverture aux politiques répressives

Cette représentation graphique posée, il a ensuite essayé de positionner chacun de ses confrères dans l’échiquier politique en se basant sur les prises de position et les déclarations accumulées ces derniers temps et depuis le début de leur carrière.

En dépit d’une subjectivité évidente à se livrer à un tel exercice, le résultat obtenu est impressionnant de clarté et ne manque pas de constituer une grille de lecture intéressante pour qui cherche à savoir d’où parlent les leaders d’opinion.
Par ailleurs il révèle – sans surprise – un manque de pluralité évident des opinions représentées dans les médias dominants.

La « carte » de Thomas Guénolé pour représenter les opinions des éditorialistes politiques

La « carte » de Thomas Guénolé pour représenter les opinions des éditorialistes politiques

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L’indispensable exposé de Dominique Méda sur le travail de demain

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C’est sous les platanes d’Avignon, dans le cadre du festival, en partenariat avec « Les ateliers de la pensée » et la « Revue du Crieur » que Joseph Confavreux, journaliste à Mediapart, a organisé le 18 Juillet cet entretien public avec la sociologue et philosophe Dominique Méda. Le but était de penser le travail d’après-demain en discutant des différentes tendances et changement en cours.
Le moins que l’on puisse dire c’est que l’intervenante fournit une présentation d’une limpidité exemplaire, qui est particulièrement précieuse à l’heure où le gouvernement planche sur la réforme du code du travail. En détaillant trois « horizons pour le travail », elle se livre à une analyse prospective, qui a l’immense mérite de dévoiler le choix qui se présente à nous. Quel travail voulons-nous pour demain ?

On traverse une double crise de l’emploi et du travail

Dominique Méda commence l’entretien par trois constatations préalables, qui ont été à la base de sa réflexion:

  • Nous sommes des sociétés fondées sur le travail. Le travail structure nos relations et est le pivot des identités, des statuts et des rapports sociaux. Cela n’a pas toujours été le cas, c’est l’une des révolutions du XIXème siècle.
  • La norme du travail épanouissement est extrêmement répandu dans les sociétés occidentales et particulièrement en France. Certes le travail est alimentaire, mais on a tous envie de s’exprimer et de dire qui l’on est à travers notre travail.
  • Ces fortes attentes sur le travail sont globalement non satisfaites du fait de la double crise de l’emploi et du travail. C’est à dire du fait du fort taux de chômage, mais aussi, du fait de la très grande médiocrité ds conditions d’exercice du travail au quotidien.

Elle détaille ensuite ses trois scénarios pour le travail de demain, dont on comprend qu’ils sont en fait les trois visions concurrentes sur l’évolution à donner au travail.

  1. Démantèlement du droit du travail: basé sur configuration idéologique selon laquelle ce qui empêche la création d’emploi ce sont les règles qui constituent le droit du travail (règle à l’embauche, règle à la rupture), on va progressivement vers une dérèglementation du marché du travail.
  2. Révolution technologique: la vague de changements technologiques s’accélère et entraine une bascule. Les changements relatifs à l’intelligence artificielle et ceux provoqués par l’automatisation du travail vont être extrêmement violents et on va vers la suppression de plein d’emploi, voire la fin du travail. Par ailleurs le travail va devenir plus sympathique, plus « fun », et sera plus collaboratif. Il va progressivement se confondre avec le loisir, et se passera de moins en moins dans les entreprises. On se dirige d’ailleurs vers la fin des entreprises, la fin du salariat, la fin du lien de subordination et des organisations complètement horizontales.
  3. Reconversion écologique: il s’agit du scénario qui prend en compte la question écologique (risque du réchauffement climatique, pénurie des matières premières rares…) qui est éludée par les deux autres. Il accepte l’idée que la croissance – après avoir été porteuse de bienfaits – est maintenant aussi porteuse de maux. Notamment parce notre indicateur phare, le PIB, n’est pas une comptabilité patrimoniale (c’est à dire tenant compte du patrimoine naturel et du patrimoine social),  mais se focalise uniquement sur la valeur ajoutée. Ce scénario inclue donc la redistribution du travail et des changements dans la gouvernance des entreprises, en démocratisant leur fonctionnement et en donnant plus de pouvoir aux salariés.

Tout dépendra de notre capacité de résistance

Si le troisième scénario a clairement la préférence de la sociologue, car il permettrait selon elle de répondre à la fois à la crise de l’emploi et à la crise du travail, elle indique qu’à son avis les trois hypothèses se déploieront en même temps,. La véritable question étant la proportion de chacune d’elle. « Cela dépendra de notre capacité de résistance » explique-elle.

Réforme du code du travail. Trois visions pour le travail d'après-demain

« Trois horizons possibles pour le travail », un entretien vivifiant avec Dominique Méda

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Voter pour le mal ou ce qui fabrique le mal ? Natacha Polony décortique le dilemme de Mélenchon

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Le leader de la France Insoumise a annoncé qu’il ne révélerait pas son vote pour le second tour de l’élection présidentielle. Tout juste a-t-il dit qu’il ne voterait pas pour Marine Le Pen. Pourquoi n’appelle-t-il pas à voter Emmanuel Macron pour faire barrage au Front National ? Sur sa chaine en ligne, Natacha Polony nous détaille avec clarté le raisonnement de Jean-Luc Mélenchon. Rappelant au passage que la France Insoumise  a fait baisser le Front National, elle pointe l’hypocrisie des eurobéats et des adeptes du libéralisme qui s’accommodent en réalité très bien de la présence de Marine Le Pen au second tour.

Natacha Polony explique pourquoi Jean-Luc Mélenchon n'appelle pas à voter contre le Front National

« Se renier ou être lynché », l’excellente vidéo de Natacha Polony

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Citation de Paul Eluard

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«Un autre monde existe. Il est dans celui-ci.

Soyons courageux-ses.

Allons le chercher».

Paul Eluard, poète Français, (1895-1952)

Retrouvez toutes les citations classées par auteur.
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Percée de Jean-Luc Mélenchon: il n’y a plus de vote utile qui tienne

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Les sondages passent et les résultats des enquêtes se ressemblent: il y a bien une montée en flèche des intentions de vote en faveur de Jean-Luc Mélenchon pour la présidentielle. Couplé à un tassement – sinon un recul – de Marine Le Pen et Emmanuel Macron, et la donne de l’élection est totalement changée. L’accès au second tour est finalement beaucoup plus ouvert qu’on ne le dit et plein de scénarios sont possibles. Il est clair que maintenant le « vote utile » ne tient plus et voici pourquoi il n’y a plus à hésiter à voter Mélenchon au premier tour.

1/ La spectaculaire remontée qui change tout

L’un des derniers sondages publié concernant l’élection présidentielle est l’enquête BVA pour la presse régionale et Orange (dispo ici , voir illustration ci-dessous).

Pour qui voter aux présidentielles 2017 ?

Dernière enquête BVA intentions de vote présidentielles 2017, pour la presse régionale et Orange

Avec les « challengers » à 4 points des favoris, et compte tenu de la marge d’erreur sur ce type d’enquête, l’élection est donc beaucoup plus ouverte qu’on ne le dit. Fillon ou Mélenchon pourraient très bien créer la surprise.

Ces résultats condensés sur les quatre favoris on rendu  le « vote utile » complètement inutile. Cette stratégie électorale qui voulait que l’on vote pour le candidat « le moins pire » dès le premier tour, afin d’éviter un choix cornélien au second tour est maintenant obsolète. Les sondages permettent cette fois à chaque électeur de voter en son âme et conscience sans risque de regret.

Et avouons-le, ce sondage aux résultats resserrés est ce qui a achevé de nous décider à voter Jean-Luc Mélenchon (après avoir envisagé, Hamon, Macron et le vote blanc). L’objet de ce billet est d’expliquer pourquoi.

2/ Le programme le plus détaillé, le plus cohérent

La première chose à noter est que JLM et les gens qui composent la France Insoumise (le mouvement qui porte sa candidature) ont travaillé leur programme comme personne. Cela fait un an qu’ils sont dessus et le mot d’ordre a toujours été le fond avant la forme. A lire ce programme on est surpris comme l’ensemble homogène, réfléchi et cohérent. On peut se rendre compte qu’il résulte d’un vrai diagnostic sur l’état de la société et d’un vrai projet. L’ensemble du programme est décortiqué en ligne sur le site de l’Avenir en Commun où chacun pourra se faire une idée, mais il n’y a aucun autre candidat qui ait fait cet effort là, à ce niveau de détail là.

A lire ce programme on est surpris comme l’ensemble homogène, réfléchi et cohérent.

Un autre élément qui peut aussi compter dans le choix, c’est le fait que Jean-Luc Mélenchon ait envoyé baller le Parti Communiste. On peut le voir à au moins 4 choses:

  1. L’idéologie révolutionnaire a été abandonné au profit de la promotion d’une révolution citoyenne – c’est à dire par les urnes – via le passage à une sixième république
  2. On oublie maintenant l’approche productiviste. Le programme est sans doute le plus écologiste de tous et il propose même la sortie du nucléaire.
  3. Le plan de relance de 100 Md€, axe majeur du programme économique, est un plan de relance par l’investissement et non pas par la consommation
  4. Il n’y a pas eu d’accord électoral aux législatives entre la France Insoumise et le PS, comme le souhaitait le PC
  5.  etc etc…

Il veut renégocier les traités européens, sauf que lui il veut s’en donner les moyens.

Sur l’Europe, JLM est contre le TAFTA, du CETA et les travailleurs détachés, qui vont ruiner ou ruinent déjà notre économie. Il est contre aussi le carquant des 3% de déficit qui empêche les états d’investir (alors qu’au contraire toutes les entreprises profitent des taux bas pour le faire). Alors, comme beaucoup d’autres candidats, il veut renégocier les traités européens, à la différence près que lui il veut s’en donner les moyens. Comme sa vision est régulièrement caricaturée par les médias, on peut voir ce court interview vidéo accordé au Monde.fr [vidéo 6 min] pour des explications claires.

Concernant le chiffrage du programme, sur lequel elle est aussi régulièrement mis en cause, l’équipe de la France Insoumise a organisé une émission en ligne de 5 heures pour détailler pour chaque point, son coût et son financement, en expliquant que les modèles économiques du FMI avaient été utilisés (vidéo intégrale dispo en ligne ici [5 hrs], en version résumée ici [20 min], et sous forme de fiche synthétique ici [2 min]). Lors de cette web-émission, afin d’éviter que n’importe quoi ne soit raconté, 4 journalistes ont été invités à commenter ce chiffrage et à poser leurs questions, dont certains connus pour être notoirement hostiles (Hedwige Chevrillon de BFM Business, Ghyslaine Ottenheimer du magazine Challenges et Marc Landré du Figaro).  Encore une fois, aucun autre candidat de se soit livré à un tel « strip-tease » sur son catalogue de mesures.

3/ Un candidat qui bluffe tout le monde par sa connaissance des dossiers

Sur la politique étrangère –  point du programme pas très convaincant au départ – JLM a une vision issus d’un double héritage:

  1. d’abord le côté internationaliste qui l’incite à ne pas voir le monde dans une logique manichéenne (méchants vs. gentils) et à chercher systématiquement la paix
  2. de l’autre la conception Gaullienne du monde (place centrale de la France, méfiance envers les USA, sortie de l’OTAN, dialogue avec la Russie et la Chine etc…)
Faut il voter Mélenchon aux présidentielles 2017 ?

Jean-Luc Mélenchon devant 70 000 personnes, hier en meeting en plein air à Marseille sur le Vieux Port (photo Le Monde)

Sur le sujet de la politique de défense, la sécurité et la géopolitique, Mélenchon a été bluffant lors de sa conférence à l’IRIS (résumée dans cet article de Libé). Au milieu des géopolitologues et des militaires  il a étonné par sa connaissance pointues de tous les dossiers internationaux et déclenché régulièrement les applaudissements (alors qu’à la base Mélenchon n’est pas trop le genre de l’audience).

Dans le même genre d’exercice, où il a été impressionnant, il a répondu à l’invitation des Mardis de l’ESSEC (video ici), école privée d’économie localisée à la Défense… Il faut le voir captiver les étudiants qui n’ont à la base rien de révolutionnaires…

Pour conclure, on peut reprendre sa dernière phrase lors du débat sur BFM TV/CNews et qui en un sens résume tout:

« Il faut d’abord en finir avec l’argent roi car c’est lui qui divise les êtres humains et épuise la nature. »

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Citation de Stendhal

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« Les peuples n’ont jamais que le degré de liberté que leur audace conquiert sur la peur« .

Stendhal, écrivain Français, (1783-1842)

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Pourquoi il faut arrêter de financer l’Autorité Palestinienne

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«De fait, nous finançons le maintien de l’occupation israélienne». C’est à ce terrible constat qu’arrivent aujourd’hui de nombreux diplomates européens en poste au Proche-Orient, relayés par Charles Enderlin auteur d’une tribune dans Libération. Le journaliste franco-israélien indépendant, observateur avisé du conflit Israélo-palestinien qui a longtemps été correspondant pour France 2 (note: de 1981 à 2015), appelle à ce que les pays Européens arrêtent de financer l’Autorité Palestinienne tant que le processus de paix ne progresse pas significativement. Il pointe le paradoxe par lequel les milliards des Européens sensés accompagner le règlement du conflit favorisent au contraire le statu-quo de l’occupation. En finançant les Palestiniens, l’Union Européenne fait en réalité le jeu du gouvernement israélien…

http://www.liberation.fr/debats/2017/01/12/arretons-de-financer-l-autorite-palestinienne_1540979

Arrêtons de financer l’Autorité palestinienne

En coupant les budgets des Territoires palestiniens, l’Union européenne placerait le gouvernement de Benyamin Nétanyahou devant les responsabilités qui reviennent à toute puissance occupante.

Les accords d’Oslo, le 13 septembre 1993… un lointain souvenir ?

Après l’échec du sommet de Camp David en juillet 2000, des négociations de Taba en janvier 2001, de la rencontre de Charm el-Cheikh en février 2005, George W. Bush, le président américain, décidait qu’il était temps d’en finir avec le conflit israélo-palestinien. Le 27 novembre 2007, à Annapolis, il réunissait Ehud Olmert, le Premier ministre israélien, et Mahmoud Abbas, le président palestinien, pour frapper dans le marbre le principe de la solution à deux Etats. Les deux hommes s’engageaient à conclure les négociations en une année.

Le 27 novembre 2007, à Annapolis, Ehud Olmert et Mahmoud Abbas […] s’engageaient à conclure les négociations en une année.

Trois semaines plus tard, à Paris, Nicolas Sarkozy ouvrait la conférence internationale des donateurs pour l’Etat palestinien en rappelant qu’il s’agissait de créer aux côtés d’Israël : «Un Etat souverain sur son territoire et ses ressources, contrôlant ses frontières, disposant d’une continuité entre Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est. Un Etat de droit, disposant d’institutions fortes et indépendantes, qui assurera la sécurité de ses citoyens, fera respecter la loi et l’ordre […]. Au bout du compte, un Etat politiquement et économiquement viable.» Salam Fayyad, le Premier ministre palestinien, demandait 4,5 milliards d’euros aux donateurs qui, déjà, depuis la signature des accords d’Oslo, avaient déboursé plus de 7 milliards d’euros. Il a reçu des promesses pour la bagatelle de 6,5 milliards d’euros de la part des 70 délégations d’Etats réunies à Paris. L’Union européenne a de nouveau mis la main au portefeuille. Aux 563,28 millions d’euros déjà transférés en 2007, sont venus s’y ajouter 494,91 millions en 2008. Selon des sources diplomatiques, il faut adjoindre les sommes offertes par les divers pays de l’UE, qui, en la doublant, portent l’aide aux Palestiniens à près de 1 milliard d’euros (en 2015, encore, l’UE a remis 342,42 millions d’euros à l’Autorité autonome). Les pourparlers ont débuté et, à nouveau, ce fut l’échec. La droite israélienne en accuse les Palestiniens qui auraient refusé les «concessions sans précédent, offertes par Olmert». Faux, rétorque l’entourage d’Abbas : «Nous n’avons jamais reçu une proposition sérieuse par écrit pour l’étudier. Tout était verbal et n’engageait que ceux qui écoutaient.» En réalité, sous le coup d’une enquête judiciaire pour corruption, impopulaire, Ehud Olmert n’avait plus la possibilité de conclure un accord en bonne et due forme. Condamné, il a fini derrière les barreaux. Benyamin Nétanyahou lui a succédé à la présidence du Conseil en 2009 et, depuis, Israéliens et Palestiniens n’ont plus repris les discussions de fond sur les éléments de la solution à deux Etats.

Les milliards investis par la communauté internationale […] n’ont pas fait avancer d’un millimètre la solution à deux Etats.

Barack Obama, arrivé à la Maison Blanche la même année, n’a même pas réussi à relancer des pourparlers autres que sur la reprise des négociations. John Kerry, avant de quitter le département d’Etat, relève que durant ces huit années 100 000 colons supplémentaires se sont installés en Cisjordanie. Il en rejette la responsabilité sur Nétanyahou et son gouvernement, «le plus à droite de l’histoire d’Israël», dit-il, en constatant le quasi total contrôle israélien sur la zone C, 60 % du territoire, habité par près de 400 000 colons et où le développement palestinien est interdit. Une situation critiquée par de nombreux diplomates européens en poste dans la région. Tout en gardant l’anonymat, ils déclarent à qui veut les entendre : «De fait, nous finançons le maintien de l’occupation israélienne.»

Alors, pourquoi, au nom des bailleurs de fonds européens, François Hollande et Angela Merkel ne prendraient-ils pas l’initiative de fixer une date limite [à] Israël – puissance occupante selon les conventions de Genève ?

Dans ces conditions, n’est-il pas grand temps de faire le bilan ? Les milliards investis par la communauté internationale, s’ils ont permis le développement d’institutions palestiniennes, n’ont pas fait avancer d’un millimètre la solution à deux Etats. Alors, pourquoi, au nom des bailleurs de fonds européens, François Hollande et Angela Merkel ne prendraient-ils pas l’initiative de fixer une date limite au-delà de laquelle Israël – puissance occupante selon les conventions de Genève – devrait assumer le financement du budget palestinien ? Cela libérerait le contribuable européen de ce fardeau, et placerait le gouvernement de Nétanyahou devant ses responsabilités à un moment où s’ouvre une nouvelle page de l’histoire du Proche-Orient. L’enjeu, c’est l’avenir de la région, d’Israël et de la nation palestinienne. Car les premières décisions de la nouvelle administration Trump ne poussent pas à l’optimisme. Le président élu a nommé David Friedman au poste de nouvel ambassadeur américain en Israël. A la tête de l’Association des amis de la colonie Beit El, c’est un fervent partisan de l’annexion des Territoires palestiniens. Il entend œuvrer pour le transfert à Jérusalem de l’ambassade des Etats-Unis installée aujourd’hui à Tel-Aviv. Ce serait le dernier clou dans le cercueil du processus de paix entamé en 1993 avec la signature des accords d’Oslo. Il ne resterait plus qu’à en publier l’acte de décès formel.

Charles Enderlin, Journaliste à Jérusalem

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