Le 29 Juin de nouvelles mesures d’austérité drastiques ont été adoptées par le parlement Grec ce qui devrait permettre le déblocage d’un nouveau plan de sauvetage de l’Union Européenne et du FMI d’ici la fin de l’été. Déjà totalement asphyxiée par le plan de l’an dernier, la population grecque encaisse mal ces nouvelles hausses d’impôts, ces réductions supplémentaires de dépenses publiques et les privatisations massives qui s’annoncent. Pour justifier cela, on nous explique que « les Grecs ont assez triché » ou qu’ils « ont trop longtemps vécus au dessus de leurs moyens« . Le problème c’est que cette vision réductrice occulte les véritables scandales sur le fonctionnement des marchés des dettes publiques de zone euro. Analyse en deux volets expliquant en quoi ces plans d’austérité sont ni légitimes (1), ni efficaces (2).
Première partie :
Les vraies raisons de la crise de la dette publique Grecque
1/ La baisse des recettes publiques d’un État déjà faible
Comme pour les autres pays de la zone Euro, la dette publique grecque a pris une nouvelle dimension en 2008, lors de la crise bancaire et financière. Lorsque les États ont organisé un plan de sauvetage de la finance par le renflouement des banques. Ces mêmes banques qui aujourd’hui spéculent sur la capacité de la Grèce à rembourser sa dette…
Mais bien avant la crise de 2008, l’envolée de la dette Grecque résulte plus d’une baisse des recettes publiques que d’une envolée des dépenses. En effet les réformes fiscales mises en place dans un peu toute l’Europe depuis les années 90, ont permis de grandes baisses d’impôts pour la population la plus aisée et ont organisé le gonflement des dettes publiques. La Grèce pays qui a pourtant traditionnellement une pression fiscale assez faible a enregistré un des plus fortes baisses du ratio d’imposition au PIB de l’UE sur la décennie 2000 (statistiques OCDE, voir tableau A et B depuis 1999).
Cette « contre-révolution fiscale » au bénéfice des populations les plus aisées permet un double effet kiss-cool que les Économistes Atterrés appellent l’effet jackpot:
« Avec l’argent économisé sur leurs impôts, les riches ont pu acquérir les titres (porteurs d’intérêts) de la dette publique émise pour financer les déficits publics provoqués par les réductions d’impôts… » (Fausse évidence n° 6, les Économistes Atterrés)
Il y a en plus certains paradoxes en Grèce qui ne bénéficient pas aux finances publiques. Les armateurs ne payent par exemple pas d’impôts. Il n’y a non plus pas de cadastre, ce qui facilite une évasion fiscale endémique. Traditionnellement, l’État Grec, faible, n’a pas su faire payer des impôts à ceux qui peuvent en payer. Si l’on ajoute une importante économie souterraine, il y aurait de nombreuses réformes à conduire en Grèce pour assainir les finances. Remarquez en revanche que les plans d’austérités imposés par l’Europe et le FMI n’incluent pas ces réformes, alors qu’au contraire les Grecs devraient commencer par là.
2/ Des attaques spéculatives ininterrompues depuis 2009
Depuis mi-2009 la Grèce est victime d’attaques spéculatives de la part des marchés financiers. Ils y ont vu une brèche dans l’organisation financière de la zone Euro. En effet depuis les accords de Maastricht les pays Européens ont renoncé à la possibilité d’être financés par leur banque centrale. Du coup, et contrairement à la plupart des pays développés, les pays de la zone euro dépendent totalement des marchés financiers pour financer leur dette. Dans la foulée de la crise bancaire de 2008, les marchés ont donc déclenché la spéculation sur les pays les plus faibles de la zone (les fameux PIGS: Portugal, Irlande Grèce et Espagne) au premier rang desquels la Grèce.
Les Économistes Atterrés expliquent que les attaques spéculatives sur un pays faible permettent de le fragiliser et d’obtenir des hausses d’intérêts
« Un titre financier est un droit sur des revenus futurs : pour l’évaluer il faut prévoir ce que sera ce futur. […] Lorsqu’elles dégradent la notation d’un État, [les agences de notation] accroissent le taux d’intérêt exigé par les acteurs financiers pour acquérir les titres de la dette publique de cet État, et augmentent par là-même le risque de faillite qu’elles ont annoncé. » (Fausse évidence n° 3, les Économistes Atterrés)
Il s’agit donc d’un cercle vicieux. Les marchés ont intérêt à avoir un meilleurs taux d’intérêt donc à ce que la note d’un pays soit dégradée. Comme souvent en finance, ces spéculations ont aussi valeur de prophétie auto-réalisatrices : on craint que la Grèce ne puisse plus payer, on dégrade donc la note de sa dette publique, ce qui a pour conséquence de faire augmenter les taux d’intérêt de son déficit, l’État Grec se retrouve donc effectivement en situation plus précaire et il est moins en mesure de payer: on avait donc raison de se méfier CQFD.
On ajoutera que les agences de notations sont en position d’oligopole : Fitch, Moody’s et Standard & Poors réalisent 94% du chiffre d’affaire mondial de la profession tout en étant très rentables (de l’ordre de 40% par an !). Alors qu’elles font la pluie et le beau temps pour ceux qu’elles notent, celles-ci sont rémunérées par leurs clients. Elles ont donc une indépendance limitée, qui avait d’ailleurs été dénoncé lors de la crise des subprimes par Christine Lagarde. Avec ce système il y a un conflit d’intérêt manifeste. Si l’on prend l’exemple d’une banque, il y a d’un coté un service qui gère l’épargne (qui est noté par et qui donc rémunère l’agence de notation), et de l’autre un service qui gère le fond spéculatif en recherche de gros taux d’intérêt (qui peuvent être créés artificiellement lors de la dégradation de la note d’un État par l’agence de notation)… Difficile de croire à un cloisonnement total, lorsque l’on constate les dégradations de notes subites et irresponsables de ces derniers mois (par exemple en Mai lors de l’annonce de la dégradation de la note grecque à 15 minutes de la clôture des marchés pour précipiter un mouvement de panique).
Les États les plus faibles de la zone euro se retrouvent donc aujourd’hui à la merci de la cupidité des marchés financiers qui les mettent à genou pour tirer un maximum de profit de leur dette. Les taux pratiqués deviennent totalement déconnectés de la réalité économique et font augmenter la dette de façon exponentielle et artificielle.
3/ L’aide de Goldman Sachs pour maquiller les comptes et entrer dans l’Euro
Une autre raison qui est à l’origine du fort taux d’endettement Grec est le trucage de ses comptes pour permettre au pays d’entrer dans la zone Euro au tournant des années 2000. Sans l’aide de Goldman Sachs, qui a mis au point un « swap » de devises qui a permis au gouvernement Grec de cacher l’étendue de son déficit aux investisseurs, les Grecs ne seraient pas rentrés dans l’Euro. Mais la France le savait et l’Allemagne aussi. Ils sont donc complices. En 2002 la banque Américaine a encore permis à la Grèce de lever un milliard de dollars de financements hors bilan (source AGEFI), ce qui n’a fait que constituer une « bombe à retardement » pour le gouvernement Grec.
Pour la petite histoire on notera que le nouveau gouverneur de la banque centrale Européenne, en remplacement de Jean-Claude Trichet, l’Italien Mario Draghi était à cette époque vice-président de la branche européenne de la banque d’affaires américaine… La boucle est bouclée.
4/ Les contrats d’armement plombent les finances
La Grèce consacre une très (trop) grosse part de son budget à l’armement. 4,3% du PIB grec est consacré a la Défense, et il y a 50 000 militaires sur 800 000 fonctionnaires. Ces dépenses militaires sont donc un trou béant dans le budget grec.
Récemment la France et l’Allemagne ont été accusés de conditionner leur aide à la Grèce au maintient des contrats d’armement avec leurs champions nationaux. A Rue89 Daniel Cohn-Bendit donne les précisions suivantes:
« On sait que la France a obligé la Grèce à maintenir un contrat de 2,5 milliards d’euros sur des frégates françaises, un contrat de 400 millions d’euros sur des hélicoptères et un contrat sur plusieurs avions à 100 millions d’euros pièce. Il y a aussi en jeu des sous-marins allemands. »
La solidarité Européenne a donc ses limites, les marchands d’armes Franco-Allemands ont ainsi obtenu que les contrats ne soient pas remis en cause dans le cadre du plan d’austérité. Sabrer dans les dépenses militaire serait pourtant une source de baisse de dépenses substantielle pour la Grèce, plus qu’une énième réduction des prestations sociales. Mais tout est une question de priorité, et de qui la demande. En l’occurrence les prêteurs Allemands et Français ont plus émus George Papandréou que son peuple dans la rue.
Dans le même registre de la « solidarité Européenne », on notera que l’Europe dans son plan de sauvetage de la Grèce a proposé un taux à 5,5% à la Grèce. Alors certes il est meilleur que les 15 ou 25% proposé par les marchés financiers, mais la France et l’Allemagne empruntent à 3,5%. Les États Français et Allemands sont donc loin d’être perdants dans l’histoire et peuvent même financer une partie de leur dette grâce aux 2% gagnés sur ce plan de sauvetage…
Nous avons vu que la crise grecque trouve son origine dans de nombreux facteurs qui ne sont pas seulement le fait de tricheries et de dysfonctionnements internes comme on veut bien nous le faire croire. Cette crise de la dette publique est aussi due à un emballement incontrôlé des marchés qui fonctionnent en cercle vicieux et dont l’intérêt à court terme n’est absolument pas de régler le problème Grec. Les règles de fonctionnement actuelles de la finance internationale permettent des attaques en règle des marchés qui sont en mesure de « racketter » les États les plus faibles. La Grèce a certes besoin d’une ré-organisation en profondeur, mais c’est plus une règlementation financière Européenne qu’un plan d’austérité drastique qui résoudrait son problème. C’est ce que nous étudierons en détail la prochaine fois.
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