Crise Grecque, plan d’austérité et agences de notation, les dessous d’un scandale européen (2/2)

Imprimer cet article    Version PDF    Poster sur facebook    Tweeter la page    Ajouter à  MySpace    Ajouter sur del.icio.us    Digg this    

Le 29 Juin de nouvelles mesures d’austérité drastiques ont été adoptées par le parlement Grec ce qui devrait permettre le déblocage d’un nouveau plan de sauvetage de l’Union Européenne et du FMI d’ici la fin de l’été. Déjà totalement asphyxiée par le plan de l’an dernier, la population Grecque encaisse mal ces nouvelles hausses d’impôts, ces réductions supplémentaires de dépenses publiques et les privatisations massives qui s’annoncent.  Pour justifier cela, on nous explique que « les Grecs ont assez triché » ou qu’ils « ont trop longtemps vécus au dessus de leurs moyens« . Le problème c’est que cette vision réductrice occulte les véritables scandales sur le fonctionnement des marchés des dettes publiques de zone euro. Analyse en deux volets expliquant en quoi ces plans d’austérité sont ni légitimes (1), ni efficaces (2).

NB : la première partie de cet article a été publiée la semaine dernière : Les vraies raisons de la crise de la dette publique grecque

Seconde partie

Le plan d’austérité, une fausse solution

1/ Ça n’a déjà pas marché la fois précédente

George Papandreou face au parlement Grec

George Papandreou en discours devant le Parlement Grec, Juin 2011 (AFP/Louisa Gouliamaki)

Nous avons étudié dans la première partie de ce dossier, pourquoi les plans d’austérité imposés à la Grèce n’étaient pas légitimes, tant la crise de la dette publique grecque est due à de multiples autres facteurs que ses seules dépenses publiques. Nous allons analyser à présent pourquoi on remet sérieusement en cause l’efficacité de ces mesures d’austérité, qui n’ont pour seul effet que de faire empirer la situation en imposant une terrible fuite en avant.

Ce plan d’austérité de Juin 2011 est le deuxième du nom pour la Grèce. Déjà en Mai 2010 le FMI et la zone euro avaient conditionné leur aide à la mise en place d’une première cure d’austérité. L’an dernier tous les deux mois le gouvernement grec annonçait des mesures plus drastiques, contraint par ses bailleurs de fond. Au final voici ce qui a été mis en place en 2010 (liste non exhaustive):

  • la suppression des 13e et 14e mois dans la fonction publique,
  • gel des salaires des fonctionnaires pendant trois ans
  • gel les pensions de retraite des fonctionnaires et des salariés du secteur privé
  • suppression du treizième mois dans le secteur privé, s’il est maintenu  c’est au prix d’une flexibilité renforcée des conditions de travail
  • la durée de cotisations retraites sera portée de 37 annuités à 40 annuités en 2015
  • ouverture de professions fermées
  • hausse de la TVA qui doit être portée à 23 %
  • augmentation des taxes sur les alcools, le tabac, les carburants et les produits de luxe

Un an après, l’efficacité du plan grec 2010 est contestée de toute part. Même au département des Affaires économiques et sociales de l’ONU, qui estime dans son rapport annuel sur la situation sociale dans le monde, que les politiques d’austérité comme celles menées en Espagne et en Grèce menacent l’emploi et mettent en péril la reprise économique. « Les mesures d’austérité prises par certains pays comme la Grèce et l’Espagne face à un endettement public excessif non seulement menacent l’emploi dans le secteur public et les dépenses sociales, mais rendent la reprise plus incertaine et plus fragile« . « Les gouvernements doivent réagir avec prudence aux pressions en faveur de la consolidation budgétaire et de l’adoption de mesures d’austérité s’ils ne veulent pas risquer d’interrompre le redressement de leur économie« . Ce rapport va même un peu plus loin en évoquant la pressions des créanciers sur les pays les plus faibles: « de nombreux pays en développement, notamment ceux qui bénéficient de programmes du FMI, subissent également des pressions pour réduire leurs dépenses publiques et adopter des mesures d’austérité » (source l’Expansion).

La vérité à moyen et long terme est que des cures d’austérité de cette ampleur sont un terrible coup d’arrêt pour l’économie des pays. C’est un frein brutal à la consommation et à la demande, et cela pousse les gens à épargner le peu qu’ils ont plutôt qu’à consommer, car plus personne n’a confiance en l’avenir. Dans ces conditions le pays plongent dans la récession, la croissance le fuit, et l’on arrive même parfois à des situations de décroissance. C’est ce qu’expliquent sans concession nos Économistes Atterrés dans leur livre:

« Il est faux d’affirmer que tout déficit public accroît d’autant la dette publique, ou que toute réduction du déficit permet de réduire la dette. Si la réduction des déficits plombe l’activité économique, la dette s’alourdira encore plus. » (Fausse évidence n° 5, les Économistes Atterrés)

2/ Les Grecs n’ont vraiment plus rien

Un an après la première cure d’austérité, on constate que les conséquences pour les Grecs ont été dramatiques. Les Grecs ont encaissés en 2010 en moyenne (salarié du public et du privé) une réduction de salaire de 20%, ils sont donc très nombreux à gagner aujourd’hui moins de 600€, et environ 40% de la population ne peut plus payer son l’électricité…

C’est dans ce contexte que l’on est en train de concevoir un nouveau plan d’austérité, malgré l’échec cuisant du précédent à rétablir la situation de sa dette. En vrac, au menu 2011, une nouvelle liste de mesures totalement démentes venant s’ajouter aux précédentes (projet du gouvernement grec, source Challenges):

  • Réduction du nombre de fonctionnaires sous contrat:
    • application sans exception du principe d’une embauche pour cinq départs et licenciements prévus: 150.000 suppressions d’emplois au total, soit plus d’un cinquième des effectifs publics.
    • Les fonctionnaires qui conservent leur poste devront travailler plus, en gagnant moins, ou parfois se mettre à temps partiel: la masse salariale publique doit être réduite de 20%.
  • Création d’un « impôt de solidarité » de 1 à 4%
  • Alignement des produits bénéficiant d’une TVA réduite à 13% au taux normal de 23%
  • Hausses des taxes sur le gaz, le tabac et les cartes grises des voitures
  • Hausses des taxes sur les signes extérieurs de richesse (yachts, piscines et voitures de luxe)
  • Durcissement des conditions d’accès aux allocations sociales et chômage
  • Réduction du montant de certaines pensions de retraite complémentaires
  • Déremboursement de certains médicaments et prestations médicales
  • Réduction des dépenses militaires
  • Réduction des investissements publics

Si certaines de ces mesures ne sont pas à jeter, comme la volonté d’imposer la tranche de la population la plus fortunée ou la réduction des dépenses militaires (NB: hors contrats intra-européen), dans le contexte actuel post cure 2010 où les grecs sont déjà exsangues, ce plan est une pure folie. Il va arrêter net l’économie hellénique et la Grèce mettra des décennies à s’en remettre. Elle est en train de devenir un pays en voie de dé-développement. Comment espérer que la croissance reparte dans ces conditions ? Le pire étant que pour les raisons expliquées ci-dessus cela ne règlera pas son problème de dette publique.

3/ Totalement asphyxiée, la Grèce est à vendre !

Manifestation devant le parlement Grec suite à l'adoption d'un nouveau plan d'austérité

Manifestation devant le parlement Grec, juin 2011 (AFP/Louisa Gouliamaki)

En parallèle des mesures 2011, le gouvernement grec prévoit aussi un nouveau plan de privatisation d’une envergure jamais vue.

En 2008 déjà, en pleine crise financière, Cosco Pacific, une entreprise chinoise, avait racheté le port du Pirée (l’un des plus grand port de Méditerranée)  pour 4,3 milliards d’euros en obtenant une concession de 35 ans (Le Figaro).

Pour 2011, comme l’explique ce calendrier fourni par l’état grec, le plan prévoit de récupérer 50 milliards d’euros en privatisant (ou en ouvrant le capital) des secteurs suivants :

  • Télécoms
  • Banques et banque postale
  • Ports et aéroport
  • Eau de Thessalonique et d’Athènes
  • Jeux (Loterie nationale, paris, hippisme, casinos…)
  • Énergie (Gaz, électricité, …)
  • Transport (chemins de fer, autoroutes,…)
  • la Poste
  • Systèmes de défense
  • Caisse de dépôt et consignation

Inutile de dire que toutes les sociétés du monde se lèchent les babines d’avance. Les géants nationaux Français et Allemands espèrent se tailler la part du lion parmi ces anciens services publics grecs. On frôle même le conflit d’intérêt quand les gouvernements Français ou Allemands conditionnent leur aide à la Grèce aux privatisations, alors qu’ils sont extrêmement liés ou même actionnaires des sociétés qui vont participer à la curée…

Dans tous les cas ces privatisations représentent une réelle perte de souveraineté pour la Grèce. Elle qui avait déjà une marge de manœuvre extrêmement réduite. Et les privatisations ayant rarement débouché sur des baisses de tarifs, les citoyens grecs n’ont donc pas fini de faire des efforts. Ou comment rendre totalement exsangue un pays déjà surendetté.

4/ Dans ces conditions, quelles (vraies) solutions pour la Grèce ?

Comme l’expliquent à Mediapart Aurélie Trouvé et Éva Joly ou bien les Économistes Atterrés dans leur livre*, la crise grecque aurait pourtant bien des solutions. Mais celles-ci sont surtout d’ordre institutionnel et au niveau européen. La zone euro et la Grèce feraient mieux de chercher des solutions dans la liste ci-dessous que dans des plans d’austérité aussi destructeurs qu’inefficaces.

  1. Autoriser la Banque Centrale Européenne (BCE) a prêter directement aux États: nous l’avons vu, les traités Européens depuis Maastricht interdisent à la BCE de souscrire directement aux émissions d’obligations publique des États européens. Ils imposent de passer par les marchés. Privés de la garantie de pouvoir toujours se financer auprès de la Banque Centrale, les pays du Sud ont ainsi été les victimes d’attaques spéculatives. Les marchés spéculent sur les dettes et travaillent avec les agences de notation pour mettre les États à genoux, de sorte que la dette s’emballe sans connexion avec la réalité. Emprunter directement à la BCE résoudrait le problème et éviterait aussi d’avoir recours à des plans de sauvetages. C’est la première urgence. Dans la foulée on pourrait aussi créer une banque de règlement européenne pour organiser les prêts entre pays Européens (proposition 19 des Économistes Atterrés)
  2. Rééchelonner voire annuler la dette grecque: il faudrait faire un audit complet de la dette publique grecque pour la rééchelonner sur une durée plus longue (type 30 ans), voire l’annuler pour les parties illégitimes. Cela a déjà été fait dans des pays en voix de développement comme l’Équateur. Il faut aussi renégocier les taux d’intérêt exorbitants des titres émis par les pays en difficulté depuis la crise.
  3. Harmoniser la fiscalité Européenne: comme expliqué dans la première partie de ce dossier la Grèce a un problème de fiscalité. De nombreux citoyens ou sociétés ne payent pas ou pas suffisamment d’impôts. Comme de nombreux pays européens la hausse de la dette publique grecque est due à une baisse des recettes publiques, conséquences de la contre-révolution fiscale des 15 dernières années. En organisant une réforme fiscale européenne, homogène pour éviter le « dumping », on s’attaquerait réellement au problème des déficits publics.
  4. Changer la façon de noter les dettes publiques: a minima, la note de la dette d’un état devrait résulter d’un calcul transparent (proposition 8 des Économistes Atterrés). L’oligopole actuel des agences de notations, ainsi que leur proximité avec les autres acteurs du marché qu’elles notent, entrainent des conflits d’intérêts trop nombreux et toxiques pour l’évolution des dettes publiques
  5. Aider la Grèce à s’attaquer à ses vrais problèmes: les vrais problèmes de la Grèce sont connus. Il ne s’agit pas des dépenses publiques, mais avant tout de la corruption, de l’économie souterraine, de la fuite fiscale… Commençons par mettre en place un cadastre par exemple, par faire payer des impôts aux plus fortunés, par traquer le travail au noir et la fraude fiscale etc… Ce qui n’est pas du tout la priorité des plans d’austérités qui auront supprimé 25% des fonctionnaires.

La vérité n’est donc pas aussi simple qu’on veut bien nous le faire croire. S’il est évident que la Grèce a besoin de se structurer et de s’organiser, les plans d’austérités n’ont pas pour objet de l’aider mais au contraire d’organiser le « pillage » du pays. Sans restructuration de la dette ils seront totalement inefficaces. La zone Euro aurait elle aussi besoin de réorganisation pour éviter les attaques spéculatives systématiques des marchés et des agences de notation complices contres ses États les plus faibles. En attendant ce sont les Grecs qui subissent des mesures drastiques et désespérées qui sont en plus totalement injustes. Avec ces plans d’austérité pour les années à venir la Grèce est tristement en voix de « tiersmondisation ».

*= Aurélie Trouvé est signataire du Manifeste des Économistes Atterrés.
Ce contenu a été publié dans Economie, Europe, avec comme mot(s)-clef(s) , , , , , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

19 réponses à Crise Grecque, plan d’austérité et agences de notation, les dessous d’un scandale européen (2/2)

  1. Ping : Le centième de Pandora Vox ! | Pandora Vox

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.