Il est des historiens qui ont marqué l’Histoire par leur façon de la raconter. Henri Guillemin était de ceux là. Spécialiste du XIXième siècle et de l’Histoire contemporaine, il aura marqué les esprits par ses incroyables talents de conteur sur les ondes de la RTBF, de la TSR ou de Radio Canada. Reconnu pour son honnêteté de travail, il l’est aussi pour ses révélations sur de grandes personnalités ou grandes affaires de l’Histoire (la Révolution, Napoléon, la Commune de Paris, Pétain…). Fin limier de la vérité historique et dénonciateur des impostures dans notre Histoire récente – que l’on a trop souvent réécrite à la faveur des réalités politiques du moment – il a animé avec passion des conférences grands publics sur ses recherches pendant 20 ans. Voici un retour en deux volets sur les vérités de Monsieur Guillemin.
La première partie de cette plongée dans l’Histoire de Guillemin a été publiée la semaine dernière, avec notamment les conférences sur Napoléon, la Commune de Paris et l’avant guerre de 14.
4/ Le maréchal Pétain et le régime de Vichy
Henri Guillemin se prononce clairement contre la réhabilitation de Philippe Pétain. Il avance plusieurs arguments qu’il égrène tout au long de son cycle de conférences sur le Maréchal.
- En regardant de plus prêt, il s’avère que le « vainqueur de Verdun » (comme l’appelle les partisans du maréchal) est plus Nivelle que Pétain qui n’a été au commandement que 8 semaines sur les 10 mois de bataille.
Pétain n’a dirigé les armées à Verdun que 8 semaines sur les 10 mois qu’a duré la bataille
- Pétain a été enthousiaste et précurseur des volontés Allemande sur les lois antisémites
- En créant la milice il a permis à des Français de tuer d’autres Français pour faire le jeu de l’occupant.
- Si sa politique extérieure a été construite autour d’un certains équilibre (le Maréchal a longtemps espéré un renversement d’alliance et cru qu’il pourrait convaincre les Américains de s’allier avec les Allemands contre les Soviétiques), sa politique intérieure au contraire a été sans ambiguïté et parfaitement anticipée.
Et c’est sur ce dernier point que les révélations d’Henri Guillemin sur Pétain et la droite Française sont le plus intéressantes. Anti-républicain convaincu, terrifié par la contestation de gauche, Pétain et ses partisans avait envisagé sa politique dès le début des années 30. Une fois parvenu au pouvoir, c’est donc de façon purement réfléchie et sans improvisation qu’il a mis en place sa « révolution nationale ».
Pour preuve cette incroyable citation de son ami Gustave Hervé qui déclarait en 1935 et 1936, dans une série d’article publiée dans son Journal « La Victoire« , (et réunis sous le titre « C’est Pétain qu’il nous faut« ):
« C’est en temps de guerre que l’on peut réussir à renverser la République […] en particulier en cas de désastre » (Gustave Hervé, ami du maréchal, 1936)
« Si Pétain arrive au pouvoir, on balancera le parlementarisme, on organisera une censure de la presse, on détruira la CGT, et on fera une révolution dite nationale. […] Ce n’est pas en temps de paix que l’on peut réussir à renverser la république, c’est en temps de guerre et particulier en cas de désastre ».
Dans le même registre, le maréchal Pétain déclare dans une lettre à sa maitresse Américaine Mrs Pavly en Octobre 1938: « C’est sous peine de mort qu’il faut changer la politique intérieure Française, mais les Français n’ont pas encore assez souffert« .
Enfin, pour confirmer l’état d’esprit de la droite Française de l’époque, Thierry Maulnier dans son journal Combat expliquait en Novembre 1938 de façon encore moins ambigüe:
« Beaucoup de gens raisonnables estimaient qu’une défaite de l’Allemagne eut signifié l’écroulement des systèmes autoritaires qui constituaient le principal rempart à la révolution communiste. En d’autres termes qu’une victoire de la France eut été celle de principes considérés à juste titre comme menant droit à la ruine de la civilisation. […] Il est regrettable que les hommes et les partis qui avaient cette pensée ne l’aient pas en général avouée, car elle n’avait rien d’inavouable. J’estime même qu’elle était une des principales raisons, et des plus solides, sinon la plus solide, pour ne pas faire la guerre à l’Allemagne. » (NDLR: au moment des accords de Munich en Septembre 1938).
Au sujet de la collaboration Guillemin rapporte aussi une extraordinaire citation d’Adolf Hitler recueillie par Hermann Rauschning dans son livre « Hitler m’a dit » publié au printemps 1939. Hitler se vante auprès de l’auteur d’une nouvelle technique pour faire la guerre appelée « dislocation psychologique de l’ennemi« :
« Partout en pays ennemi nous aurons des amis qui nous aiderons. Nous n’aurons même pas besoin de les acheter, ils viendront à nous spontanément […] Nous aurons avec nous les classes dirigeantes et possédantes » (Adolf Hitler, 1933)
« Jamais je ne commencerai une guerre sans avoir auparavant la certitude que l’ennemi démoralisé d’avance succombera sous mon premier choc. Partout en pays ennemi nous aurons des amis qui nous aiderons. Nous n’aurons même pas besoin de les acheter, ils viendront à nous spontanément. J’entrerai en France en champion de l’ordre social. Nous aurons avec nous les classes dirigeantes et possédantes, c’est à dire ces milieux d’affaires pour qui un seul mot du vocabulaire politique s’écrit en lettre capital c’est le mot profit. Ces collaborateurs spontanés n’auront pas de peine à trouver des phrases patriotiques servant d’habillage à leur jeu ».
5/ Guillemin et le parti pris de la vérité
Guillemin se gausse régulièrement de la soit-disante objectivité de l’historien: selon lui, même si elle doit rester un idéal vers lequel tendre, il est impossible de rester totalement objectif. Comme il le dit lui-même « Certes quand il s’agit des Assyriens, c’est différent, mais pour l’Histoire récente on est forcément un peu subjectif« .
L’essentiel du travail de d’Henri Guillemin et sur l’époque contemporaine avec un tropisme sur le XIXième siècle. L’une des rares fois où il s’est aventuré sur un autre terrain, lors de sa série de conférences sur Jeanne d’Arc, il semble moins à l’aise et plus contesté par ses confrères. Comme si le cœur de son intérêt gisait dans la France moderne.
« Aux yeux de certaines gens quand elle déplait la vérité perd son nom, et ce qui dérange les idées reçu perd le droit d’avoir existé » (Henri Guillemin)
Régulièrement accusé de parti pris il doit se justifier en permanence dans ses conférences de ne pas monter de dossier à charge. Ses exposés sont ainsi très documentés avec de nombreux citations, témoignages, articles de presse etc… Comme il l’avoue lui même c’est la vérité qui est son obsession:
« C’est la vérité qui m’intéresse, et je me rappelle une phrase de Robespierre. Robespierre qui avait dit à la tribune des choses qui déplaisaient avait répondu ‘Mais c’est la vérité qui est coupable’. Mais vous savez aux yeux de certaines gens quand elle déplait la vérité perd son nom, et ce qui dérange les idées reçu perd le droit d’avoir existé. »
Au fil des conférences, on devine également les convictions personnelles de Mr Guillemin. Celles qui l’ont amené à choisir Rousseau plutôt que Voltaire, Robespierre plutôt que Danton, Lamartine plutôt que Constant, Vallès plutôt que Thiers ou Jaurès plutôt que Ferry… Des convictions qui ne l’empêche pas d’étayer robustement ses déclarations dans des conférences indispensables à qui souhaite un éclairage politique pour comprendre notre Histoire récente.
La première partie de cette plongée dans l’Histoire de Guillemin a été publiée la semaine dernière, avec notamment les conférences sur Napoléon, la Commune de Paris et l’avant guerre de 14.
Écouter Henri Guillemin aujourd’hui (toutes les conférences sont disponibles gratuitement):
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