L’auteur de ‘Maus’, enfin couronné à Angoulême

Imprimer cet article    Version PDF    Poster sur facebook    Tweeter la page    Ajouter à MySpace    Ajouter sur del.icio.us    Digg this    
L'intégrale "Maus"

L'intégrale "Maus"

Dimanche soir c’est l’un des seigneurs de la bande dessinées qui a reçu le grand prix de la ville d’Angoulême (décerné dans le cadre du festival de BD). Cela faisait de nombreuses années que son nom était évoqué, mais il a fallut attendre 2011 pour que Art Spiegelman accède enfin au précieux sésame. C’est « Maus« , son œuvre magistrale publiée en 86 et en 91, qui aura le plus marqué les esprits. Petit détour par la case « chef d’œuvre »…

Quand on évoque Spiegelman il faut savoir que l’on parle de quelqu’un qui a reçu le prix Pulitzer pour ses bandes dessinées (en 1992). Le Pulitzer pour des BDs ? Oui c’est possible, enfin… ça l’est depuis « Maus« ! Cela situe déjà l’envergure du raz-de-marée provoqué par ses livres publiés au tournant des années 90 (en 2 tomes : En 1986 « Maus : Un survivant raconte« , En 1991 « Maus : Et c’est là que mes ennuis ont commencé« ). « Maus » c’est l’histoire poignante de la famille de l’auteur dont une partie a survécut à l’holocauste. Ce n’est pas une BD comme les autres, elle appartient plus au genre du livre témoignage qui prend aux tripes tellement il sonne vrai. L’auteur a pourtant pris le parti de dédramatiser (un peu) : les juifs sont ainsi représentés par des souris, les nazis par des chats et les Polonais par des cochons. Mais la force de l’histoire, profondément ancrée dans le réel, laisse scotché sur place.

Cette biographie est aussi sans concessions et non romancée. L’histoire n’est par exemple pas du tout manichéenne, elle raconte la vie au quotidien pendant ces heures noires de l’Histoire. Chaque personnage ne comprend pas trop ce qui se passe et essaye surtout de s’en sortir. On y parle donc d’abord réflexe de survie, plutôt que d’héroïsme. Le livre fait bien comprendre que de toutes façons pour avoir survécu il faut avoir d’abord pensé à soi… Spiegelman décrit un environnement où tout s’achète, tout se monnaye, où rien n’est gratuit. Et c’est là toute la barbarie de la Shoah, les nazis ont réussi à « déshumaniser » tout le monde : les bourreaux comme les victimes. Se serrez les coudes dans l’adversité ? C’est vrai, jusqu’à un certain point dans l’horreur. Quand le nombre de gens qui s’en sortent est trop faible, on en revient à des réflexes quasi cannibales.

Extrait de "Maus" (Bedetheque.com)

Extrait de "Maus" (Bedetheque.com)

Spiegelman évoque aussi le terrible rôle d’une certaine élite juive, qui a été utilisée par les nazis (comme le comité juif de Sosnowiek). Le sujet est aujourd’hui absolument tabou, mais il permet pourtant de mieux comprendre comment l’holocauste a été possible. Si aujourd’hui l’on trouve encore des gens pour nier la Shoah ce ne sont pas seulement des antisémites, c’est aussi parce que tout cela leur semble tout bonnement « impensable ». En décrivant avec précision les mécanismes de l’holocauste et en expliquant sa mise en œuvre, avec le témoignage de son père, Spiegelman adresse au négationniste une formidable réponse. C’est pour cela qu’il mérite vraiment le Pulitzer.

« Maus » c’est l’histoire d’Art Spiegelman qui raconte celle de son père. Parce qu’en fait le livre narre sa propre genèse : il explique aussi comment il a écrit la BD. En se mettant en scène, il fait partager ses doutes et ses réflexions au lecteur. C’est là toute la puissance de cette BD. Il touche à la difficulté du travail de mémoire. Doit-il forcer son père à se remémorer tout ce qu’il a mis des années à évacuer ? Comment traduire l’intensité dramatique des évènements vécus ? Rend-il justice aux victimes en évoquant leur (relatif) manque de solidarité, préoccupées par le seul instinct de survie ? Comment faire face aux difficultés de communication avec son père ? Spiegelman est membre de la « génération d’après » comment peut-il comprendre ? En parlant du suicide de sa mère, il interroge : comment peut-on reprendre la vie après avoir vu Auschwitz ?

La façon dont l’auteur évoque le caractère de son père est aussi déconcertante de franchise et de vérité. Traumatisé et âgé, il est devenu insupportable. A avoir trop manqué, son père ne tolère pas de gâcher. Il est économe et mesquin de façon maladive, à tout vouloir récupérer. Spiegelman nous fait partager sa honte et son exaspération face à ses comportements. Comme le racisme envers les noirs, dont son père fait preuve, et qui lui parait impensable au regard de ce qu’il a subit. A mesure que l’on tourne les pages, on comprend ainsi le rôle thérapeutique que la rédaction de « Maus » a eu pour son auteur.

Bref, pour tous ceux qui n’ont pas encore l’indispensable « Maus » dans leur bédéthèque, ils savent ce qui leur reste à faire !

Cet article est le deuxième que Pandora Vox consacre à la bande dessinée, après celui sur Quartier Lointain de Jirô Taniguchi.
Publié dans Culture | Marqué avec , , , , , | 2 commentaires

Turquie: A Istanbul aussi on soutient les révolutions arabes

Imprimer cet article    Version PDF    Poster sur facebook    Tweeter la page    Ajouter à MySpace    Ajouter sur del.icio.us    Digg this    

Cette semaine Pandora Vox fait étape en Turquie. En promenade dans le centre d’Istanbul nous croisons des manifestants venus crier leur soutien aux révoltes de Tunisie et d’Égypte.

Manifestation de soutien aux révolutions Arabes, Istiklal

Manifestation de soutien aux révolutions Arabes, Istiklal, istanbul (photo @PandoraVox)

La longue avenue d’Istiklal, principale artère piétonne et commerçante de la cité stambouliote, accueille dit-on 3 millions de visiteurs en une journée de week-end. Ils sont sans doute moins nombreux ce samedi (29 Janvier), car le temps est à la pluie, mais nous rencontrons tout de même une manifestation devant le lycée de Galatasaray.

Mobilisés par les partis, syndicats et organisations de l’extrême gauche turque (dont la revue Kaldiraç qui relate aussi l’évènement), l’objectif des manifestants pour cette fin d’après midi est de signifier leur soutien aux révoltés du monde arabe que ce soit au Maghreb ou au Machrek.

Manifestation de soutien aux révolutions Arabes, Istiklal

Manifestation de soutien aux révolutions Arabes, Istiklal, Istanbul (photo @PandoraVox)

« Tunus’tan mısıra emekçiler ayakta!
zafer direnen emekçilerin olacak »

brandissent-ils en tête du défilé. Ce qui pourrait se traduire (merci Google traduction) par :

« De la Tunisie à l’Égypte les grandes manœuvres ont commencé ! La victoire reviendra aux travailleurs qui résistent« 

On prend souvent en exemple le modèle de laïcité de la Turquie, où même les islamistes de l’AKP (au pouvoir depuis 2002) sont plutôt modérés. Mais il est toujours intéressant de venir constater sur place, que même si le chemin vers la démocratie totale en Turquie est encore long, leur arrivée au pouvoir n’a pas altéré la possibilité de manifestation. On a vu des pays récemment rentrés dans l’Union Européenne dont la liberté d’expression n’arrive pas à la cheville de celle présente en Turquie depuis quelques décennies déjà…

Publié dans Europe, Monde | Marqué avec , , , , , , , , | Un commentaire

Citation de Kurt Cobain

Imprimer cet article    Version PDF    Poster sur facebook    Tweeter la page    Ajouter à MySpace    Ajouter sur del.icio.us    Digg this    

« Le fait que tu sois paranoïaque ne signifie pas qu’ils ne sont pas après toi« 

Kurt Cobain, chanteur et guitariste Américain, (1967-1994)

Retrouvez toutes les citations classées par auteur.
Publié dans Citations | Marqué avec , , , | Laisser un commentaire

Rétro : comment Colin Powell a convaincu l’ONU d’accepter l’invasion de l’Irak

Imprimer cet article    Version PDF    Poster sur facebook    Tweeter la page    Ajouter à MySpace    Ajouter sur del.icio.us    Digg this    

"La pensée PowerPoint" de Franck Frommer

Alors qu’aujourd’hui Franck Frommer pointe dans « La Pensée PowerPoint » les problèmes que posent le populaire logiciel de Microsoft, l’accusant de simplifier à l’extrême les problèmes et de servir d’anesthésiant intellectuel (« si la religion était l’opium du peuple, PowerPoint est celui du décideur« ), intéressons nous à l’un des chefs d’œuvre du genre : la présentation qui a permis de justifier l’attaque de l’Irak. C’était aux Nations Unis le 5 Février 2003, le secrétaire d’état Américain Colin Powell prenait le micro…

Colin Powell présentant un tube d'Anthrax à l'ONU en Février 2003

NB : L’ensemble des diapositives de la présentation peuvent être visualisés sur le site des archives de la Maison Blanche, ou téléchargés en PDF depuis notre site. L’ONU propose aussi un communiqué de presse résumant cette intervention. Enfin, on peut aussi lire l’article « Une présentation PowerPoint, un million de mort« .

La présentation faite par Colin Powell à l’ONU en Février 2003 s’intitulait « Failing to disarm » (NDLR : échec au désarmement) et se proposait de présenter les preuves que l’Irak de Sadam Hussein disposait et était en train de fabriquer des armes de destruction massive. C’est en utilisant la technique du « story telling » sous PowerPoint (littéralement « racontage d’histoire ») que Colin Powell va convaincre l’ONU de la nécessité d’une intervention militaire contre le régime de Sadam Hussein. Une technique désormais éculée, (et dénoncée dans son livre par Frommer) qui consiste à utiliser outrageusement les illustrations en martelant une assertion pour la faire passer pour vraie à son auditoire hypnotisé. L’exposé de Powell s’articulait en 7 étapes dont nous détaillons ici les principaux slides :

1 – Denial and deception (Déni et tromperie)

Failing to disarm, slide 4

Dans cette première partie, qui est la plus longue de l’exposé, Powell s’attache à démontrer que l’Irak trompe la communauté internationale.

Il fait écouter à son auditoire l’enregistrement d’une conversation en arabe, la traduction étant assurée sur les diapositive. Ces échanges sont sensés prouver que l’Irak cache délibérément des informations aux inspecteurs de l’ONU. Dommage qu’une preuve audio soit inutilisable (car trop facile à falsifier) dans les systèmes judiciaires de bon nombre de pays (y compris les USA).

Failing to disarm, slide 12

Failing to disarm, slide 12

Les diapositives suivantes sont des photos satellites annotées. A vrai dire on ne voit pas grand chose, mais les renseignements Américains sont là pour éclairer notre lanterne : bunker à munition par ci, entrepôt par là… Ce qui est impressionnant c’est que ces photos pourraient tout simplement être celle d’une ville standard avec aucune preuve à proprement parler.

 

2 – Biological weapons (Armes biologiques)

Failing to disarm, slide 20

Pour convaincre de la présence d’armes biologiques en Irak, Powell expose la technique des camions itinérants que les Irakiens sont sensés utiliser. Pour seul élément de preuve, une image de synthèse de ces fameux « camions d’armes biologiques ».

Des camions qui s’avéreront sur le terrain être des camions de logistique pour ballons-sondes météo !

L’intensité de l’exposé monte d’un cran quand Colin Powell présente à l’assemblée un tube d’Anthrax qu’utilisent les terroristes, provoquant un frisson dans les travées de l’ONU. Il s’agit une nouvelle fois d’un artifice de communication !

3 – Chemical weapons (Armes chimiques)

Failing to disarm, slide 25

Pour prouver la présence d’armes chimiques, les photos satellites sont à nouveau utilisées. Elles ne sont pourtant pas plus claires que les précédentes. Il pourrait s’agir de n’importe quelle usine.

Pour preuve, ces « véhicules de décontamination » que présentent les renseignements Américains sur la diapo ne seront en réalité que de vulgaires camions de chantier.

4 – Nuclear weapons (Armes nucléaires)

Failing to disarm, slide 31

Pour les armes nucléaires c’est un simple tube d’aluminium à peine plus grand qu’une descente d’eau de pluie qui est présenté comme étant un « tube à enrichissement d’uranium ».

Il faut tout de même avoir le sens de l’imagination ! C’est tout l’art du « story telling ».

Et toujours pas de preuve concrète à l’horizon.

 

5 – Delivery systems (Systèmes de livraisons)

Failure to disarm, slide 34

La partie suivante n’est pas plus détaillée. L’ONU a eu droit à une grosse campagne d’intox avec carte à l’appui sur la portée des nouveaux missiles Irakiens supposés.

L’idée est toujours de permettre à l’auditoire de se représenter l’objet de l’exposé. Ici la menace que représente l’Irak. Même s’il n’y a en réalité aucun élément nouveau justifiant d’une prise de décision précipitée.

6 – Terrorism (Terrorisme)

Failing to disarm, slide 39

Pour la section sur le terrorisme, Colin Powell montre à nouveau des photos annotées. Une usine à poison à telle endroit, une usine d’explosif à tel autre. Il s’agit d’amener l’audience à faire le lien entre l’Irak et Al-Qaïda, entre Sadam Hussein et Oussama Ben Laden. Un lien dont on sait aujourd’hui qu’il n’a jamais existé. Hussein appartenant aux militaires tendance laïque nationaliste et Ben Laden aux extrémistes religieux internationalistes.

Failing to disarm, slide 40

La diapositive suivante permet à l’auditoire de mettre des visages sur ces menaces avec l’organigramme de l’organisation terroriste.

 

 

 

 

7 – Human right violations (Violation des droits de l’Homme)

Enfin, l’exposé se termine par un indispensable discours moralisateur sur les droits de l’Homme. Powell y évoque le cas de la minorité Kurde, harcelée par le régime de Sadam Hussein. Une minorité dont Washington ne se souciait guère lorsqu’elle armait l’Irak contre l’Iran durant toutes les années 80…

C’est la conclusion qui permet de ménager la conscience de l’audience en martelant qu’une intervention permettrait de voler au secours des populations opprimées.

Voilà comment un exposé brillant, avec un bon support conçu par les meilleurs spécialistes en communication, peut véritablement faire passer des vessies pour des lanternes à toute l’élite mondiale. Cela ferait rire s’il en avait résulté une guerre catastrophique pour l’équilibre de la région la plus instable de la planète. Le monde payera malheureusement encore pendant des décennies les conséquences de ce qui s’est décidé lors de cette fameuse présentation du 5 Février 2003…

Ajout 13 Mars 2011: Lien vers le journal télévisé de France 2 au lendemain de l’intervention de Powell à l’ONU (images INA) disponible sur cette page.
Publié dans Médias, Monde | Marqué avec , , , , , , , , | 6 commentaires

Tunisie : Alliot-Marie n’a pas fini de regretter ses propos

Imprimer cet article    Version PDF    Poster sur facebook    Tweeter la page    Ajouter à MySpace    Ajouter sur del.icio.us    Digg this    

« Nous proposons que le savoir faire – qui est reconnu dans le monde entier – de nos forces de sécurité permettent de régler des situations sécuritaires de ce type. C’est la raison pour laquelle nous proposons, effectivement aux deux pays [NDLR : la Tunisie et l’Algérie] de permettre, dans le cadre de nos coopérations, d’agir en ce sens pour que le droit de manifester puisse se faire en même temps que l’assurance de la sécurité« 

(Michèle Alliot-Marie, mercredi 11 Janvier 2011 à l’Assemblée Nationale, source Nouvel Obs)

Michèle Alliot-Marie regrette sans doute amèrement ses propos tenus la semaine dernière à l’assemblée Nationale. Et avec elle probablement tout son camp politique. Alors que les manifestations qui dégénèrent font la une de l’actualité au Maghreb, notre ministre des Affaires Étrangères n’a rien trouvé de mieux que de faire la promotion des forces de sécurité Françaises, déclenchant la polémique et rappelant par là même l’attitude plus qu’ambigüe de la France envers le régime de Ben Ali. La France a condamné du bout des lèvres la répression, tout en maintenant son soutien au président Ben Ali. Complaisant envers l’autocrate Tunisien, le gouvernement Français ne s’est guère préoccupé ces derniers temps des Droits de l’Homme ou de la liberté d’expression de son ancienne colonie. Ces déclarations de MAM sont le reflet de deux décennies de Françafrique et d’ingérence dans les affaires Tunisiennes.

« On ne doit pas s’ériger en donneurs de leçons » disait mercredi Alliot-Marie. La même MAM à qui les mots manquaient pour qualifier Laurent Gbagbo de tyran, il y a tout juste quelques semaines. Gbagbo dictateur, mais pas une seule déclaration à propos de Ben Ali dont les exactions sont pourtant avérées et dénoncées depuis des années par les ONG… Comme nous le rappelions à l’occasion de notre article sur la situation en Côte d’Ivoire on oublie que le rôle du Quai d’Orsay n’est pas de servir les intérêts des peuples Tunisien ou Ivoirien, mais bien ceux de la France. La démocratie et les Droits de l’Homme ne sont qu’un prétexte au service des intérêts économiques et géopolitiques français. Le reste passe au second plan.

Et le retour de veste français – qui a dit suspect ? – de ce week-end, (au moment du départ de Ben Ali) ne fait qu’obéir à cette logique : ne pas compromettre les intérêts Français en Tunisie. Même si cela implique qu’on ne sache pas trop sur quel pied danser, sait-on jamais, si Ben Ali revenait… D’ailleurs Rachida Dati s’est empressée de rappeler lundi que “Ben Ali avait joué un grand rôle dans la coopération et la lutte contre le terrorisme. » et que « c’était aussi pour protéger les Européens”, comme pour mieux justifier les propos de MAM alors qu’au final ça ne fait que la mettre un peu plus dans l’embarras (source BFM TV).

Les petites phrases de Dati c’était pour enfoncer le clou : des fois que nous n’ayons pas compris que la France (et avec elle sans doute tout l’Occident) soutenait Ben Ali contre l’islamisme radical. Et ce en dépit des souffrances que le régime imposait au peuple tunisien. Avec ces deux déclarations les masques tombent. Et cela inspire le même commentaire que pour la Côte d’Ivoire, il serait peut être temps que la France arrête le jouer avec le feu en Afrique…

Publié dans Monde, Politique | Marqué avec , , , , , | 7 commentaires

Citation de Pierre Desproges

Imprimer cet article    Version PDF    Poster sur facebook    Tweeter la page    Ajouter à MySpace    Ajouter sur del.icio.us    Digg this    

« Les aspirations des pauvres ne sont pas très éloignées des réalités des riches.« 

Pierre Desproges, humoriste Français, (1939-1988)

Retrouvez toutes les citations classées par auteur.
Publié dans Citations | Marqué avec , | Laisser un commentaire

Eric Woerth, l’homme de toutes les magouilles

Imprimer cet article    Version PDF    Poster sur facebook    Tweeter la page    Ajouter à MySpace    Ajouter sur del.icio.us    Digg this    

On parle souvent ces derniers mois de l' »Affaire Woerth » qui mettrait en cause l’ancien ministre du Travail, porteur de la récente réforme sur les retraites. Mais de quelle affaire s’agit-il exactement ? Car celui qui est aussi l’ancien ministre du Budget traine derrières lui de multiples casseroles qui le rattrapent aujourd’hui qu’il n’est plus au Gouvernement. Petit état des lieux de ce que l’on reproche à Éric Woerth.

1 – Ministre du Budget et trésorier de l’UMP

Il ne suffit pas d'avoir une tête de gars honnête.

Éric Woerth occupe successivement depuis 1993 diverses fonctions de trésorerie au sein du RPR puis de l’UMP (directeur financier de campagne, trésorier, collecteur de fonds…). Président de l’Association de financement pour la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, il est chargé de collecter de l’argent auprès des plus grandes fortunes pour financer la campagne. Ensuite, en tant que trésorier de l’UMP, il continue de récolter des fonds auprès de donateurs potentiels. Fonction au sein de la formation de droite qu’il conserve lorsqu’il devient ministre du Budget en 2007.

Une situation de conflit d’intérêt manifeste qui est dénoncée de façon virulente par l’opposition mais aussi par certaines personnalités de droite :

«Messieurs Juppé et de Villepin considèrent incompatibles les fonctions de trésorier de l’UMP et de ministre du Budget. M. Woerth lui-même annule la réunion des donateurs. Mme Lagarde souhaite une clarification. Mme Woerth, elle-même, dit avoir sous-estimé le conflit d’intérêts… » (le socialiste David Assouline dans Libération)

2 – Défiscalisation des écuries de course

Un deuxième point qui est régulièrement reproché à l’ancien ministre du Budget est son intervention personnelle pour permettre la défiscalisation des investissements dans les écuries de courses.

Hippodrome de Chantilly

En effet, Éric Woerth, maire de Chantilly depuis 1995, est aussi connu pour être un grand amateur de courses et de chevaux. Une passion d’ailleurs partagée par son épouse, Florence, fondatrice d’un club de dames amatrices de sports hippiques. La filière hippique doit d’ailleurs beaucoup à Mr Woerth qui a permis le sauvetage de l’hippodrome de Chantilly grâce aux investissements de l’Aga Khan.

En Août 2007, le Gouvernement Sarkozy fait voter la loi TEPA (Travail Emploi et Pouvoir d’Achat, déjà évoqué lors de notre article sur le débat des 35 heures). L’une des dispositions de la loi TEPA, destinée à favoriser l’emploi, permet de déduire de l’ISF 75% des investissements réalisés dans les PME. Comme l’explique Thierry Dupont journaliste de l’Express à France Inter (source ‘La bas si j’y suis’), Éric Woerth s’engage alors personnellement en prenant la parole à l’Assemblée pour défendre la possibilité de faire entrer les investissements dans les écuries de courses dans ce nouveau cadre législatif. Mr Woerth réussira a faire voter la disposition, en dépit de protestations de députés des deux camps qui trouvaient la ficelle un peu trop grosse (Gilles Carrez député UMP, spécialiste des finances, pointait notamment les risques d’abus).

Grâce à Woerth les écuries hippiques sont aujourd’hui considérées comme des PME et si l’on est assujetti à l’ISF, il est désormais possible de défiscaliser ses investissements en créant à plusieurs une écurie hippique, à hauteur de 75% (avec un plafond à 50 000€).

Il faut écouter à ce sujet le ‘piège’ tendu par la journaliste de France Inter Pascale Pascariello à l’un des fondateurs l’association ‘Cheval Invest’ (disponible ici) pour prendre la mesure de cette vaste escroquerie. Il avoue en direct qu’il ne crée aucun emploi en montant une écurie. Le pire étant que cette niche n’est pour l’instant pas dans la cible du « rabot fiscal » prévu pour le budget 2011 ! L’État n’est donc pas près d’arrêter de financer les courses hippiques de Mr Woerth…

3 – Affaire de l’hippodrome Compiègne

Éric Woerth est en ce moment en justice pour une affaire aussi liée au monde hippique : la vente d’une partie de la forêt domaniale de Compiègne à l’association des courses de Compiègne.

En Mars 2010, le Canard Enchaîné et Marianne révèlent qu’Éric Woerth a autorisé, la vente à l’association privée Société des courses de Compiègne d’une parcelle de la forêt domaniale à un prix très inférieur à celui du marché. Une impression de fraude qui est renforcée lorsqu’est publiée en septembre 2010 une lettre de 2003 du ministre de l’agriculture Hervé Gaymard, qui indique que cette vente est impossible « compte tenu de la législation sur les forêts domaniales ». Pour ne rien arranger, selon le Canard Enchainé toujours, il semblerait aussi que le ministre de l’Agriculture Bruno Le Maire « a bel et bien tenté de s’opposer à cette vente illégale ».

Enfin, le Courrier Picard en rajoute quand il explique que les terrains étaient bels et bien une surface constructible (donc de plus grande valeur), et qu’aucun appel d’offre n’a été réalisé pour cette vente de gré à gré qui s’est finalement signée pour moins de 5€ le mètre carré. Enfin il porte l’estocade en précisant que le président de la société bénéficiaire est un membre éminent de l’UMP… (source le Courrier Picard).

Le monde hippique doit donc véritablement beaucoup à Éric Woerth !

4 – Affaire de la légion d’honneur de Mr de Maistre

Comme le rappelait encore cette semaine Envoyé Spécial en enquêtant sur la Légion d’Honneur (voir « Les hochets de la République« ) une autre affaire a beaucoup fait parler de Mr Woerth : il s’agit de la remise de la légion d’honneur à Patrice de Maistre en Juillet 2007.

Comme le révèle l’Express en Août 2010 (L’Express), Éric Woerth est bien intervenu auprès de Nicolas Sarkozy – alors ministre de l’Intérieur – afin qu’il lui valide la remise de la Légion d’Honneur à Mr de Maistre. Dans ce courrier, Woerth vante les mérites de celui qui était l’un des grands pourvoyeurs de fonds de l’UMP en appartenant au Premier Cercle des donateurs et en étant l’un des collecteurs de fonds légaux pour l’UMP.

Un Patrice de Maistre qui a aussi embauché en 2007 (l’année de sa Légion d’Honneur) Florence Woerth, la propre épouse de l’ancien ministre, dans sa société Clymène chargée du placement des dividendes perçues par Liliane Bettencourt de ses actions L’Oréal (source Nouvel Obs). Mais nous sommes déjà en train de dériver sur l’affaire suivante…

5 – Affaire Woerth-Bettencourt

Parce qu’il le valait bien…

C’est la principale chose qui est reprochée à Eric Woerth, la plus grave aussi. Lui qui s’était fait le champion de la lutte contre l’évasion fiscale, est accusé d’avoir favorisé celle de la personnalité la plus riche de France : Liliane Bettencourt. Tout ceci se serait passé par l’entremise de son épouse Florence, chargée de gérer la fortune de la propriétaire de l’Oréal.

En Juin 2010 le journal en ligne Mediapart publie un article sur la base d’enregistrements réalisés clandestinement en 2009 et 2010 par Pascal Bonnefoy, le majordome de Liliane Bettencourt. Selon Mediapart, ces enregistrements mettent en lumière « diverses opérations financières destinées à échapper au fisc, des relations avec le ministre Eric Woerth et son épouse, ainsi que les immixtions de l’Élysée dans la procédure judiciaire« . On y découvre aussi des conflits d’intérêts entre Liliane Bettencourt, Éric Woerth – alors ministre du Budget – et Florence Woerth, qui a été une employée de Clymène, filiale de Téthys, sociétés gérant respectivement la fortune Bettencourt et les titres du groupe L’Oréal. Mme Bettencourt est aussi soupçonnée de fraude fiscale, les écoutes laissant penser qu’elle est propriétaire d’une île aux Seychelles et de comptes bancaires à l’étranger sans les avoir déclarés au impôts. Enfin, un possible financement illégal de la campagne de Nicolas Sarkozy est aussi évoqué par l’ancien comptable de Mme Bettencourt, lorsqu’il est entendu par les enquêteurs.

On notera que dans la plupart des affaires évoqués ci-dessus, Woerth a commencé par nier, avant de changer de version lorsque de nouveaux éléments lui étaient présentés, ce qui ne fait que renforcer les soupçons déjà plutôt bien étayés.

Dans l’attente du résultat des affaires judiciaires en cours, et face à autant de situations aussi louches, on ne peut aujourd’hui que se féliciter du départ du Gouvernement d’une personnalité cultivant autant le mélange des genres qu’Éric Woerth. On pourra en revanche regretter que le Gouvernement n’est pas pris ses responsabilités plus tôt, préférant soutenir le ministre porteur de sa réforme sur les retraites, plutôt que de prendre à temps les dispositions permettant de lever tout soupçon.

Publié dans Politique | Marqué avec , , , , , , , , | 19 commentaires

Citation de Barack Obama

Imprimer cet article    Version PDF    Poster sur facebook    Tweeter la page    Ajouter à MySpace    Ajouter sur del.icio.us    Digg this    

« Pour réussir, la chose la plus importante est de réserver des plages de temps dans la journée durant lesquelles vous ne faites que réfléchir.« 

Barack Obama, 44ième président de États-Unis, (1961-)

Retrouvez toutes les citations classées par auteur.
Publié dans Citations | Marqué avec , | Laisser un commentaire

35 heures : un débat à coté de la plaque

Imprimer cet article    Version PDF    Poster sur facebook    Tweeter la page    Ajouter à MySpace    Ajouter sur del.icio.us    Digg this    

Manuel Valls a affolé le monde politique et les médias avec ses récents propos sur les 35 heures (invité sur BFM-TV : « le débat doit avoir lieu« ). Mais les 35H font aujourd’hui figure de moulins à vent et le député socialiste  de Don Quichotte, tant la réforme phare de Martine Aubry a été « détricotée » depuis 2000. Autopsie d’un débat qui n’a plus lieu d’être.

En 2004, « la politique pour l’emploi la plus efficace de la décennie« 

Martine Aubry, la "Dame des 35 heures"

Les 35 heures ont été mises en place par le gouvernement Jospin par l’intermédiaire de deux lois de 1998 et de 2000. Il s’agissait de définir le temps de travail hebdomadaire à 35 heures contre 39 précédemment. Portée par Martine Aubry, alors ministre de l’Emploi, cette réforme emblématique n’a jamais cessé d’alimenter la polémique ces dix dernières années.

Inefficaces et coûteuses pour les uns, génératrices d’emploi et améliorant le niveau de vie pour les autres ; dans tous les cas les 35 heures se sont progressivement installées dans la vie des Français,  avec notamment les journées de RTT auxquelles elles donnent droit.

Dans son numéro de Novembre 2003 (#219) Alternatives économiques estimait que les 35 heures avaient permis la création de 350 000 emplois. Ce qui en faisait « la politique pour l’emploi la plus efficace de la décennie« .

Des chiffres confirmés en 2004 par une étude de l’INSEE sur les effets de la RTT sur l’emploi :

« En cherchant un équilibre entre baisse de la durée du travail, modération salariale, gains de productivité et aide de l’État, le processus de RTT a conduit, selon les estimations, à un rapide enrichissement de la croissance en emplois de près de 350 000 postes sur la période 1998-2002, et ceci, sans déséquilibre financier apparent pour les entreprises. »

Comme l’expliquait à l’époque Alter Eco, le coût salarial pour les entreprises avait en effet été limité : lors des négociations elles avaient négocié des aides publiques et réductions de charges sociales, une plus grande flexibilité du travail, une suppression de fait des heures supplémentaires grâce à l’annualisation du temps de travail et un gel plus ou moins long des salaires.

Puis vint le « détricotage des 35 heures » (2004-2007)

A partir du moment ou la droite récupère le pouvoir en 2002, une série de lois vient assouplir la mesure phare du gouvernement de gauche précédent. L’ambition affichée est véritablement de « déverrouiller les 35 heures » et de vider la mesure de sa substance (voir notamment cet article du Post : la France n’a pas attendu Manuel Valls) :

  • La loi Fillon de janvier 2003 permet de réduire, par accord, jusqu’à 10 % la majoration des heures supplémentaires
  • La loi Ollier-Novelli  de mars 2005 facilite le stockage de RTT et de congés sur un CET
  • La loi en faveur des PME d’août 2005 étend aux non-cadres le recours au forfait jours
  • La loi TEPA d’août 2007 incite fiscalement à recourir aux heures supplémentaires
  • Enfin la loi du 20 août 2008 permet aux entreprises de revenir sur les 35 heures en fixant la durée du travail par accord collectif.

Sur cette dernière loi de 2008, Derek Perrotte des Echos note que très peu d’entreprises ont franchi le pas à ce jour ce qui lui fait dire que « les entreprises ne sont pas pressées de revenir sur les 35 heures« .

Le film "RTT" de F. Berthe (Affiche Allociné), les 35 heures se sont installées dans la vie quotidienne des Français

De ces cinq lois c’est incontestablement la loi TEPA (Travail Emploi et Pouvoir d’Achat) de 2007 qui porte le coup le plus fatal aux 35 heures. En permettant la défiscalisation des heures supplémentaires elle incite les entreprises comme les salariés à revenir à un temps de travail plus long. Ce qui fait qu’aujourd’hui le temps de travail hebdomadaire moyen réel se situe en France à 39,4 heures (chiffres cités par Le Monde). Soit plus que le temps de travail légal d’avant la loi RTT.

Des constations qui font dire à  Xavier Timbeau, expert à l’Observatoire français des conjonctures économiques, dans Le Parisien que « d’une certaine manière, les 35 heures n’existent plus« . Avant de conclure : « en clair, beaucoup de salariés sont censés travailler 35 heures mais c’est rarement le cas dans les faits« 

Et Nicolas Sarkozy ne dit rien d’autre lorsque, bien mis dans l’embarras par Manuel Valls, il précise que « les 35 heures uniformes et obligatoires n’existent plus » (Le Monde). Et même s’il rectifie un peu en expliquant qu’il n’y a pas de sujet tabou, il explique qu’il ne veut pas « toucher au pouvoir d’achat des salariés » ou « peser sur la compétitivité des entreprises ».

Aujourd’hui, plus grand monde pour revenir sur les 35 heures

On peut donc se demander pourquoi Manuel Valls souhaite revenir sur quelque chose qui n’existe plus. Plus que la mesure elle même, c’est donc sans doute plus Martine Aubry qui était visée par sa charge. La « dame des 35 heures » qui sera sa rivale dans la course aux primaires du PS…

Surtout que Manuel Valls est bien seul à vouloir réformer les 35 heures… On a vu plus haut que le président de la République n’est pas très chaud. Les entreprises qui peuvent depuis 2008 négocier des accords de branche pour revenir sur la mesure ne se bousculent pas non plus pour le faire… Et même le Médef, ne l’a pas mis à l’agenda social  ! Comme l’expliquait cette semaine Laurence Parisot. On peut se demander pourquoi les entreprises et la droite – si prompts à dégainer contre les lois Aubry depuis 10 ans – ne sont pas plus motivées à l’idée d’en terminer une bonne fois pour toute avec la réduction du temps de travail…

Manuel Valls (Le Figaro)

Peut-être parce que le pack « 35H + TEPA » reste malgré tout très intéressant : nous l’avons vu plus haut les Français font en réalité 40H par semaine de travail effectif en moyenne, et la loi TEPA permet de défiscaliser les heures supplémentaires (en moyenne donc 5 heures par semaine). La combinaison des deux lois est donc tout bénéfice pour les entreprises (et dans une moindre mesure pour les salariés). Revenons à une durée légale du travail à 39 heures par semaine et l’on ne pourra plus défiscaliser qu’une heure par semaine contre cinq avec les 35 heures ! Le seul grand perdant de la combinaison de ces deux dispositifs législatifs est l’État. Quand aujourd’hui on pointe du doigt un coût pour la collectivité de 20 milliards d’euros, il faut se poser la question  : qui coûte aussi cher ? Les 35 heures ou la loi TEPA ? Ou les deux ?

Les dernières personnes à ne pas vouloir que l’on touche aux 35 heures sont  bien entendu les Français. Selon un sondage L’Humanité-Harris Interactive, 56% de Français sont opposés à l’abrogation des lois Aubry, pourcentage qui atteint 77% des personnes qui en bénéficient (Le Figaro). La réduction du temps de travail est aujourd’hui bien ancrée dans la vie des Français.

Un dernier élément à ne pas oublier, comme le rappelle Le Monde, est l’exemple Allemand qui a mis en place en 2009 une mesure basée sur la même logique que les 35 heures :

« En 2009, à la demande des syndicats, Angela Merkel a décidé de développer le « KurzArbeit » (travail à temps réduit): plutôt que de licencier 20 % des effectifs, une entreprise en difficulté baisse son temps de travail de 20 % et garde tous les salariés. Elle baisse les salaires mais l’Etat maintient les revenus. Quand le gouvernement français favorisait les heures supplémentaires (NDLR : avec la loi TEPA) les Allemands réduisaient leur temps de travail. Grâce au KurzArbeit, malgré une récession deux fois plus forte, le chômage a augmenté cinq fois moins vite en Allemagne qu’en France. Si nous avions agi comme nos amis allemands, nous aurions 1 million de chômeurs en moins ! »

Le débat sur les 35 heures est aujourd’hui malheureusement loin d’être terminé. Et leurs détracteurs s’attaquent désormais plus au symbole qu’à la loi elle même, qui n’a plus vraiment d’existence en soi. Et quand ce débat – qui n’a plus lieu d’être – occupe l’espace public aujourd’hui, c’est au détriment des véritables questions à poser. A commencer par le coût pour la collectivité des défiscalisations de la loi TEPA…

Publié dans Economie, Politique | Marqué avec , , , , , , , | 11 commentaires

Kenya : au nom de la rose (2/2)

Imprimer cet article    Version PDF    Poster sur facebook    Tweeter la page    Ajouter à MySpace    Ajouter sur del.icio.us    Digg this    

En Juillet 2010 Pandora Vox s’est rendu au Kenya. Au cours de notre périple nous avons fait étape à Naivasha, région dont l’activité économique principale est la culture de fleurs pour l’exportation. L’eau du lac Naivasha, le climat clément des hauts plateaux d’Afrique de l’Est et la qualité des sols d’origine volcanique font de la « vallée des roses » un endroit parfait pour l’agriculture florale. Retour en deux volets sur une activité économique au cœur de la mondialisation.

NB : la première partie de cet article a été publiée la semaine dernière : Une activité florissante

Seconde partie : Les fleurs du Mal.

2.1 Des millions de roses pour l’Occident

Le lendemain de notre rencontre avec John (cf. l’article précédent) nous poursuivons notre petite enquête sur les fleurs de Naivasha, en faisant cette fois la connaissance de Martin. Il est jeune (environ une trentaine d’année) et guide pour les touristes ou occasionnellement chauffeur. Martin est beaucoup plus réservé sur les bénéfices de l’industrie florale pour sa région (et c’est un doux euphémisme). Nous entamons la discussion en lui demandant si des fleurs ne sont pas aussi à destination du marché local. La réponse est cinglante :

« Que ferions nous des roses ? Elles sont toutes pour l’Europe ! Les Africains n’ont pas besoin de fleurs… Il faudrait déjà que l’on se développe » dit-il l’air de nous demander comment on pouvait poser une question aussi stupide. Avant de renchérir en évoquant aussi un problème de prix : l’équivalent de 10 euros le bouquet ! La mondialisation de l’économie est donc bien impénétrable pour qu’un produit soit quasiment aussi cher sur son lieu de production qu’à l’autre bout de la planète où il est transporté par avion. Il était donc claire que ces fleurs étaient avant tout destinées à l’export. L’hypothétique marché local enquiquine les compagnie plus qu’autre chose. Le constat est là : les kényans passent leurs journées à travailler au milieu des fleurs sans pouvoir en offrir à leur compagn(on).

2.2 Un lac dont le niveau d’eau baisse d’année en année

« Le vrai problème avec les fleurs de Naivasha » nous explique Martin « c’est que le niveau du lac baisse« . Comme les compagnie arrosent leurs serres avec l’eau du lac et que le nombre de serres à cru de façon exponentielle durant la dernière décennie, d’année en année le niveau du lac Naivasha  diminue. Comme pour la mer d’Aral en Union Soviétique, le risque est maintenant à l’assèchement.


Vue satellite du lac avec les serres géantes (ASTER Science Team, Jesse Allen)

En cherchant un peu sur le sujet nous apprenons que c’est le biologiste David Harper, fin connaisseur de la région, qui a récemment levé l’alerte en expliquant que le lac Naivasha se meurt. « Si les choses continuent de la sorte, si aucune régulation n’est mise en place, dans moins de dix ans, le lac ne sera plus qu’un étang boueux malodorant« , déplorait le biologiste au journal suisse Le Temps à l’occasion de la Saint Valentin en 2009.

Martin, qui semble bien renseigné sur le sujet, nous explique que le fond des lacs kényans de la vallée du Rift est constitué de minéraux chimiquement acides. C’est la raison pour laquelle il y a tant de flamands roses dans la région (le parc de Nakuru voisin est d’ailleurs mondialement célèbre pour son spectacle ornithologique permanent). Martin poursuit en racontant l’assèchement (du à la sècheresse cette fois) d’un petit lac plus au Nord qui a eu des conséquences absolument terribles pour les environs : le lac asséché, le dépôt acide au fond du lac a constitué avec le vent des nuages poussiéreux, qui ont stérilisé les terres cultivés des alentours. Le risque de l’assèchement du lac Naivasha est donc double : plus d’eau pour arroser les cultures et plus de terres cultivables autour du lac à cause des dépôts acides.

Pour terminer ce sinistre tableau Martin nous annonce que la rumeur court que les principales compagnies florales, conscientes du problèmes, ont déjà trouvé un « lac de remplacement » en Éthiopie pour le jour où il n’y aura plus d’eau à Naivasha. C’est bien connu, l’Éthiopie regorge d’eau…

2.3 Des conditions de travail terribles

Martin nous en apprend aussi un peu plus sur les conditions de travail dans l’industrie florale kényane. « La plupart des ouvriers sont des ‘casuals’ » explique-t-il. C’est à dire qu’il travaille à la journée. Soit la précarité maximale. Le salaire est de 1 ou 2 dollars US par jour apprend-t-on aussi.

Ouvrier des serres agricoles (2spaces.com)

Ouvrier des serres agricoles (2spaces.com)

« Les gens s’empoisonnent en travaillant dans les serres à cause des engrais et des produits chimiques » ajoute Martin intarissable. Un article de la RTBF explique que l’industrie florale kényane utilise de grandes quantités de pesticides, notamment la chlorure de méthyle. « Parmi les femmes qui travaillent dans le secteur de la floriculture, deux sur trois souffrent de nausées dues aux pesticides », note le World Ressource Institute (WRI, une ONG américaine). Et ce ne sont pas les seuls effets du chlorure de méthyle sur les organismes. Les travailleurs peuvent être affectés de différentes façons : maux de tête, problème d’épiderme, vision brouillée, troubles de l’équilibre, de la mémoire, insomnies, dépression entre autres. A plus long terme, cela peut déboucher sur des cancers ou des maladies respiratoires, cardio-vasculaires et nerveuses.

Hopital de la société Karuturi

Hôpital de la société de fleurs Karuturi (photo @PandoraVox)

Lorsque l’on évoque le rôle social des compagnies florales qui fournissent écoles et hôpitaux aux populations (voir l’article précédent), Martin y voit surtout un moyen de faire pression sur les pouvoirs publics. Comment contraindre une entreprise à une nouvelle règlementation plus respectueuse des gens et de l’environnement lorsqu’elle détient les meilleurs hôpitaux et écoles de la ville ? C’est en fait un formidable moyen de pression ! Ce qui explique en partie le manque de réaction des pouvoirs politiques. Surtout que ces facilités sont avant tout destinées aux employés de la compagnie que les finance, les autres ouvriers y ont certes aussi accès, mais souvent à des tarifs prohibitifs. Ces services (logements, écoles, hôpitaux) sont en réalité un moyen de contrôle important sur les ouvriers.

« Dans leurs écoles, vous croyez qu’ils expliquent aux enfants comment préserver l’eau du lac ?« . L’argument de Martin est imparable. Voilà ce qui arrive lorsque l’État délègue ses missions essentielles aux entreprises…

2.4  Un coût environnemental absurde

En prenant congé, Martin nous avoue que dans toute cette histoire, ce qui le dépasse vraiment c’est qu’il soit rentable d’expédier les fleurs en Europe par avion. Nous le rejoignons sans peine sur cet aspect « magique » de la globalisation de l’économie. Et que dire aussi de l’aspect écologique ?

D’après le site Terra Economica, « la dépense énergétique engendrée par l’achat d’un bouquet de 25 roses produite en Afrique équivaut à une balade en voiture de 20 kilomètres ». Le pire étant que le consommateur final Français n’a aucun moyen de savoir quelle est la provenance réel des fleurs qu’il achète : les Pays-Bas, qui sont le principal point d’entrée des fleurs en Europe, achètent 95 % des roses africaines, dont la moitié vient du Kenya. La France s’approvisionne pour l’essentiel aux Pays-Bas, mais le Kenya est devenu son deuxième fournisseur direct (6 millions d’euros en 2008). Coupée au Kenya, la rose met peu de temps avant de se retrouver sur les marchés d’Amsterdam. Elle y est achetée par de grandes enseignes et se retrouve sur nos étalages français avec la mention ‘Origine: Pays-Bas’.

Lorsque Hubert Sauper a réalisé Le cauchemar de Darwin en 2005, film qui dénonçait les dérives de la mondialisation autour de la production de poisson et du trafic d’armes, certains avaient mis en doute ce qu’il racontait. Mais l’histoire de la mondialisation ratée qui se fait au dépend des populations locales et de l’environnement se répète inlassablement dans différentes parties du monde. Il y avait les perches du Nil du lac de Victoria, il y a aujourd’hui les roses du lac Naivasha. En attendant les ballons de foot du Pakistan et les jouets de Guangzhou ? On en va bientôt plus savoir quoi consommer pour avoir la conscience tranquille… Pour l’heure, à la Saint-Valentin évitez les roses, ou alors cultivez les vôtres !

Sources :

Publié dans Economie, Monde | Marqué avec , , , , , , , , , , | 11 commentaires